Chroniques

par laurent bergnach

Les enfants terribles
opéra-ballet de Philip Glass

Opéra national de Bordeaux
- 24 novembre 2011
Frédéric Desmesure photographie Les enfants terribles, opéra de Philip Glass
© frédéric desmesure

Paru à une époque qui n’a pas encore défini l’adolescence (1929), le roman de Jean Cocteau confronte le lecteur d’après-guerre à une société dans laquelle, quand bien même la vie vous forcerait à grandir – suite au suicide d’un père, par exemple, comme l’auteur de La voix humaine l’a connu lui-même, à l’âge de neuf ans –, vous restez un enfant jusqu’à ce qu’on vous déclare adulte. Ces enfants terribles, abordés à seize et quatorze ans, suivis durant trois années jusqu’à leur mort tragique, se découvrent par attirance et confrontation fraternelles, hybrides dont l’insouciance est bouleversée par d’impérieuses métamorphoses psychologiques. Le cadet Paul, en particulier, a une fascination trouble pour « le coq du collège », sur les traces de ce Cocteau-narrateur du Livre blanc (paru un an plus tôt) qui ne peux en préciser la raison qu’avec du recul : « nous portions tous des culottes courtes, mais à cause de ses jambes d'homme, seul Dargelos avait les jambes nues ».

« Je reste avec vous » prédisait le poète, et Philip Glass l’accompagne dans sa promesse. Complétant la trilogie débutée avec l’opéra de chambre Orphée (1993) et celui prévu pour accompagner le film La Belle et la Bête (1994), l’ouvrage qui nous occupe aujourd’hui – dansé, à l’origine – est créé au Théâtre Casino de Zug (Suisse), le 18 mai 1996. Avec lui, l’éclectique élève de Milhaud et Boulanger (au temps de ses études à Paris) achève avec brio un cycle entièrement chanté en français. Portée par les pianistes Emmanuel Olivier, Jean-Marc Fontana et Françoise Larrat, en résonnance avec les leitmotive textuels (cette « boule de neige » qui annonce déjà celle de poison), la partition hypnotique révèle de nombreux passages poignants d’énergie ou de tranquillité trompeuse.

Pour cette coproduction avec le Teatro Arriaga de Bilbao, le metteur en scène Stéphane Vérité donne une place primordiale au monde onirique développé par les deux orphelins. « Autant le jeu des interprètes sera dans la retenue, précise-t-il, autant la scénographie jouera avec le merveilleux. » Ancrage dans la réalité, deux lits sont cernés par un décor numérique qui occupe toute la largeur du fond de scène. L’image en mouvement continu s’avère propre à l’éclosion du fantastique, soit poétiquement (arbre invisible mis en relief par la neige qui tombe, lézardes des murs de la chambre), soit métaphoriquement (invasion de la fumée, puis de la mer). Sans être grand amateur de ce genre de procédés au théâtre, reconnaissons que les images de Romain Sosso servent le projet avec talent.

Quatre solistes occupent l’espace, inspirant des avis très variés. Si Olivier Dumait, Gérard aux notes instables et aux aigus tendus, s’avère dans un mauvais jour, pour sa part, Amaya Dominguez (Agathe) semble mal distribuée. Découverte par le Jardin des Voix de William Christie [lire notre critique du DVD], le mezzo possède une ampleur, une couleur et une assurance qui le singularise au point de détoner en second rôle. Pourtant, il serait faux de penser qu’elle mérite le premier ici-même, car Chloé Briot (Elisabeth) l’occupe à merveille. Outre de jouir d’un soprano souple, charnu autant qu’incisif, ce jeune espoir au Concours de l’UFAM ne se départit pas d’un naturel confondant, qu’elle se mette en sous-vêtements ou reçoive un verre d’eau en pleine figure. Sa gymnastique matinale amuse autant que saisit l’hiératisme avec lequel elle réorganise les amours du quatuor. De plus, elle est en osmose avec Guillaume Andrieux, baryton plein de santé incarnant notre Paul souffreteux.

Avec son texte, dont les expressions désuètes accentuent l’étrangeté générale, et sa musique facile d’accès, Les enfants terribles ne devrait pas faire fuir les spectateurs qu’il s’apprête à rencontrer prochainement – à Bilbao (2et 3 décembre), Agen (le 6) et Bergerac (le 8).

LB