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Chroniques
Rachel Willis-Sørensen chante Richard Strauss
Orchestre national de France dirigé par Cristian Măcelaru
Concert allemand que celui de ce nouveau jeudi de l’Orchestre national de France, donné avenue Montaigne, sous la direction de Cristian Măcelaru qui remplace James Gaffigan initialement prévu mais souffrant. Avec l’Ouverture Leonore II, une constellation-Fidelio, pour ainsi dire,semble régner actuellement sur notre actualité, puisque dans le même temps où nos colonnes évoquent Léonore ou L’amour conjugal de Gaveaux [lire notre chronique du DVD] et Leonore de Beethoven [lire notre chronique du DVD], la version définitive de l’unique opéra du grand sourd s’est jouée Salle Favart [lire notre chronique du 25 septembre 2021]. Dans cette deuxième version de l’ouverture, nous retrouvons en pleine forme les musiciens de la formation radiophonique, soignant très précisément chaque trait solistique au fil d’une lecture résolument tonique, magistralement menée par la baguette roumaine.
Entendu en 2017 en Elsa à Zurich puis en Hélène au Münchner Opernfestspiel 2018 [lire nos chroniques de Lohengrin et des Vêpres siciliennes], le soprano étasunien Rachel Willis-Sørensen s’attelle ici à la musique de Richard Strauss, à commencer par ses Vier letzte Lieder Op.150 écrits en Suisse du printemps à l’automne 1948, un an avant la disparition du compositeur bavarois. Dès Frühling, la fluidité de la lecture de Măcelaru, élégamment infléchie, se conjugue idéalement au grand souffle de cette voix puissante et facile dont la couleur ambrée sert somptueusement cette page. À son fin travail de nuance répond la souplesse de l’exécution. « Der Garten trauert »… adroitement, le chef fait adopter à ses pupitres le mouvement du chant auquel il n’impose rien, laissant libre court au déploiement lyrique de September qui donne à goûter, avec un grave profond, un aigu d’une fraîcheur à peine obombrée qui fait le charme particulier de ce l’instrument. La noblesse du climat amené par les cordes introductives de Beim Schlafengehen se marie avec une certaine hauteur à la sévérité du chant, tout de dignité. Souverainement respirée par Luc Héry, la mélodie du violon en dit assez pour dispenser le soprano de surenchère, et c’est bien plutôt l’élévation infinie de la ligne vocale qui conquiert, sans autre effet. Après ces trois poèmes d’Hermann Hesse, le cycle trouve à se conclure dans la poésie d’Eichendorff. À coup sûr, le sujet d’Im Abendrot demeure l’orchestre dont bouleverse l’expressivité. Telle un fleuve, la voix s’engage, peut-être un peu trop confiante, voire simple – sans doute « O weiter, stlller Friede ! » n’est-il en rien facile à porter.
Passé l’entracte, les délices orchestraux de Strauss s’emportent savoureusement dans la scène finale de Capriccio, son ultime opéra – il laisserait inachevée la comédie Des Esels Schatten, créée en l’état en 1964, en l’abbaye d’Ettal, située à une quinzaine de kilomètres et quelques virages au nord de Garmisch où le maître avait élu domicile en 1908. Des atermoiements de la comtesse, nous goûtons tout le sel grâce au chant généreux de Rachel Willis-Sørensen et au grand sens dramatique de Cristian Măcelaru [lire notre chronique du 10 septembre 2021]. L’exercice consistant à donner au concert un passage destiné à la scène [lire nos chroniques des productions signées Tim Albery, Brigitte Fassbaender, Marco Arturo Marelli, Dávid Márton, enfin Robert Carsen], quand bien même s’y trouve-t-il fort bellement fait, révèle toutefois ses limites.
Commencée par Beethoven, la soirée se referme sur son Egmont, l’Ouverture de la musique de scène livrée en 1810 pour la pièce éponyme de Goethe, alors jouée au Burgtheater de Vienne [lire notre chronique de son exécution au complet, le 21 septembre 2017]. Outre l’incontestable efficience de chacun de ses pupitres, l’Orchestre national de France y brille par la belle santé de ses cuivres, ici au service de l’amoureux de liberté que fut le compositeur.
BB