Chroniques

par irma foletti

Résurrection
spectacle de Romeo Castellucci

Festival d’Aix-en-Provence / Stadium, Vitrolles
- 4 juillet 2022
Résurrection, spectacle de Romeo Castellucci, d'après la Deuxième de Mahler
© monika rittershaus

La Résurrection annoncée l’est à plusieurs titres, d’abord temporel en imaginant – et surtout en espérant – que les vagues successives de confinement et de restrictions dues à la crise sanitaire seraient derrière nous ; malheureusement, rien n’est moins sûr avec le Covid-19 pour les prochaines semaines… Et puis, l’initiative prise par le Festival d’Aix-en-Provence de venir jouer au Stadium de Vitrolles est, en effet, une renaissance de ce lieu singulier, salle de spectacles culturels et sportifs, en forme de gros cube de béton, à l’abandon depuis une vingtaine d’années. En y pénétrant, les dimensions de ce volume surchauffé évoquent plutôt un palais des sports, les spectateurs allant s’asseoir sur une immense tribune implantée sur la longueur. L’orchestre est disposé en contrebas, tandis qu’un plateau s’élève au delà, praticable géant au sol de boue, aux très légers reliefs.

Après son traitement du Requiem de Mozart dans la cour de l’archevêché [lire notre chronique du 3 juillet 2019], Romeo Castellucci est de retour pour illustrer la deuxième symphonie de Mahler, signant mise en scène, décors, costumes et lumières. Cela démarre par l’entrée d’un beau cheval blanc qui fait de courtes pauses pour manger les petits tas de nourriture répartis sur scène, pendant que sont diffusés des chants d’oiseaux. On apprécie ce moment de contemplation silencieuse, surtout qu’il ne dure pas trop longtemps, mais la dresseuse arrive et passe un coup de fil sur son portable après avoir détecté quelque chose dans la terre. La musique démarre alors que des véhicules utilitaires déposent des personnes en combinaison blanche qui délimitent puis fouillent la zone. On pense d’abord à des archéologues, mais dès qu’un corps est déterré, puis deux et jusqu’à plusieurs dizaines, le maigre doute est levé : il s’agit d’un charnier humain, confirmé par le sigle UNHCR – acronyme d’United Nations High Commissioner for Refugees, soit le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés –, lisible sur les camionnettes.

Ce travail d’exhumation se poursuit, parfois à l’aide d’une pelle mécanique, les dépouilles toujours plus nombreuses s’alignant sur des enveloppes de plastique blanc, avant que l’ensemble soit emporté par les véhicules pour rendre à nouveau la scène vide. Si le premier mouvement de la symphonie, à l’atmosphère pesante et inquiétante, en particulier sa marche funèbre, est bien en ligne avec l’horreur se déroulant sous nos yeux, il n’en va pas exactement de même par la suite. Dès le deuxième mouvement, Andante moderato, la musique, bien plus légère, voire guillerette, jure avec la macabre illustration visuelle qui continue son implacable avancée, et peut même être prise comme une injure faite à tous ces pauvres morts, femmes, hommes et enfants, aussi. C’est encore le cas de la première partie, très dansante, du troisième, In ruhig fließender Bewegung, tandis que la suite rapproche les atmosphères du son et de l’image.

Il est toujours difficile de juger les détails musicaux d’un concert sonorisé. C’est le cas au Stadium, avec une amplification toutefois de belle qualité, principalement au moyen d’enceintes acoustiques suspendues au plafond technique. Dirigé par Esa-Pekka Salonen, l’Orchestre de Paris montre une forme splendide, les cordes dans leur ensemble et le premier violon en particulier dévoilant des trésors, ces pupitres étant les plus sonorisés parmi l’orchestre. Les bois sont chatoyants, alors que les cuivres et les percussions, qu’on perçoit davantage en son direct, se montrent très brillants et dynamiques. On perçoit clairement les cuivres depuis les coulisses dans le mouvement final, avec une note mal assurée, seule défaillance technique de la soirée.

Soliste la plus sollicitée, Marianne Crebassa prend la partie d’alto des deux derniers mouvements de sa voix triste et profonde [lire nos chroniques des 2 juin, 14 juillet et 18 décembre 2010, des 2 mai et 22 novembre 2011, du 8 novembre 2013, des 21 avril et 21 novembre 2016, du 24 octobre 2017], idéalement vibrée et conduite sur le souffle, spécialement pour Urlicht. Elle est rejointe, au suivant, par le soprano Golda Schultz aux jolis aigus de sonorité plutôt ronde [lire nos chroniques du 24 avril 2012, du 14 juillet 2013 et du 31 juillet 2018]. Préparés par Marc Korovitch, le Chœur de l'Orchestre de Paris et le Jeune Chœur de Paris mettent une grande délicatesse dans leurs premières interventions, avant de déchaîner davantage de décibels, à l’instar de l’orchestre qui conclut dans un climax éclatant. On cherche en vain la Résurrection sur scène à la conclusion, un sol cette fois presque lunaire, magnifiquement éclairé. Il bruine sur le plateau, ce qui régénère à coup sûr la terre, mais qu’en est-il des humains ? C’est, en tout cas, une petite résurrection pour les spectateurs qui goûtent à un peu de fraîcheur, après cette épreuve étouffante dans tous les sens du terme.

IF