Chroniques

par bertrand bolognesi

quintettes pour piano et vents
Op.16 de Beethoven et Op.8 de Magnard

Festival Palazzetto Bru Zane / Théâtre des Bouffes du nord, Paris
- 17 juin 2014

Pour la deuxième année, le Palazzetto Bru Zane s’exporte à Paris, via son festival au Théâtre des Bouffes du nord, un événement que cette nouvelle édition développe toujours un peu plus [lire nos chroniques des 9 et 10 juin 2013]. La musique romantique française est bien évidemment à l’honneur, parfois mise en regard par des œuvres empruntant à d’autres répertoires. Après les soirées du Trio Wanderer – dans Gabriel Pierné, Maurice Ravel, Camille Saint-Saëns – et du Quatuor Mosaïques – dans Félicien David [lire notre dossier Herculanum], Louis-Emmanuel Jadin et Antonín Rejcha –, le pianiste Jean-Efflam Bavouzet et quelques-uns de ses amis instrumentistes à vent font sonner le trop rare Quintette Op.8 de Magnard qu’ils introduisent par le Quintette en ré bémol majeur Op.16 de Ludwig van Beethoven.

Le quatuor de vents est ici formé par Hervé Joulain au cor, Philippe Berrod à la clarinette, Olivier Doise à l’hautbois et l’excellent Julien Hardy au basson. Avec la complicité de Bavouzet au clavier, le Grave-Allegro ma non troppo initial gagne une inflexion mozartienne, tout naturellement héritée de Carl Philipp Emanuel Bach, en partance vers Schubert, via le Septuor Op.20 de Ludwig (1800) et l’Octuor D.803 de Franz (1824). Une pédalisation soigneusement dosée du piano ménage l’équilibre d’un ensemble qui n’est pas si évident qu’il y paraît. On goûte des ciselures pianofortistes dans l’ornementation, sans déroger à la fluidité générale des ostinati d’accompagnement. Jamais débridée, cette exécution est traversée d’une saine énergie. Mozart, encore, dans l’introït pianistique de l’Andante cantabile, à qui est emprunté le thème à varier. Les vents en portent exquisément le chant, la prégnance un rien disproportionnée du hautbois rencontrant bientôt le précieux mystère du basson et la suavité discrète de la clarinette, dans l’aura de voûte du cor. Au Rondo conclusif de surgir dans un frémissement à peine contenu, sur une partie de piano gentiment exubérante. Jamais le phrasé de Julien Hardy n’y sera simplement livré : voilà un musicien qui, en sus de nuancer avec virtuosité, travaille subtilement ses couleurs.

Du 27 septembre au 11 décembre, le Palazzetto accueillera in loco une dizaine de concerts dans le cadre d’un programme qu’il intitule Romantisme entre guerre et paix. Bien des compositeurs s’étant exprimés en ou vers 1914 y seront joué, de Caplet à Ropartz en passant par Dubois, Lekeu ou Vierne, mais encore Albéric Magnard dont seront donnés le Quatuor en mi mineur op. 16 (1902) et le Quintette pour flûte, hautbois, clarinette, basson et piano en ré mineur Op.8 (1894). C’est précisément cette œuvre qui nous occupe ce soir (pour ce faire, le cor d’Hervé Joulain cède place à la flûte de Philippe Bernold).

Sombre, est indiqué le premier mouvement… D’emblée l’harmonie s’en affirme audacieuse autant que tourmentée. Via de riches alliages timbriques et des échos d’élans qui flamboient, l’écriture de la couleur se révèle gourmande et féconde, par-delà le je-ne-sais-quoi de contrarié du thème tragique omniprésent, mâtiné d’une fugue à l’élégance presque baroque et d’une variation au parfum wagnérien. Olivier Doise dessine l’élégie du hautbois dans le halo campanaire du piano. L’intrigant moelleux d’un choral gelé fait naître une triste mélopée de clarinette – Tendre, dit la partition. La nudité saisissante de ce duo avance jusqu’aux confins du silence. Le lyrisme du solo recitativo au piano fait halte avant le retour du choral en tutti, enlaçant les répons sur une pluie octaviée. Une nerveuse promenade flûtistique contamine ensuite l’ensemble dans un chatoiement extrêmement séduisant : le troisième épisode se prétend Léger, ce qu’on a du mal à croire en considérant l’étrange péroraison orientale du hautbois, presque sévère. À une conclusion aussi brève qu’éclatante succède Joyeux dont les rythmes semblent assez redoutables. Plutôt que de s’attarder au martèlement de la marche drue de ce final, les artistes s’ingénient à faire entendre les reprises de thèmes, bien plus passionnantes, en effet.

Ce bel opus 8 de Magnard, dont nous entendions récemment Bérénice [lire notre chronique du 4 avril 2014], sera joué à deux reprises en France par les mêmes interprètes, avant de gagner le salon vénitien, le 25 octobre prochain, en compagnie de pages de Pierné et de Ravel. À bon entendeur…

BB