Chroniques

par bertrand bolognesi

Orfeo | Orphée
favola in musica de Claudio Monteverdi

Opéra de Lausanne
- 5 octobre 2016
Fernando Guimarães (Orfeo) et Nicolas Courjal (Caronte) chantent Monteverdi
© marc vanappelghem

Saison sainement diversifiée que celle de l’Opéra de Lausanne, concoctée par Éric Vigié, son directeur – à la fin du printemps, il mettra lui-même en scène un nouveau Don Giovanni – : vous y pourrez découvrir Les zoocrates en création mondiale (Thierry Besançon, en avril), retrouver La bohème (mars), approfondir vos connaissances haydniennes avec Orlando paladino (février), enfin revoir Siroe d’Hasse [lire notre chronique du 26 novembre 2014] et ce même Hamlet d’Ambroise Thomas par Vincent Boussard, récemment apprécié à Marseille [lire notre chronique du 29 septembre 2016]. Romantisme français, classicisme viennois et répertoire baroque sont donc de la partie, ouverte dimanche dernier par l’œuvre fondatrice, encore héritière de la Renaissance : Orfeo de Claudio Monteverdi, bien sûr.

C’est en effet avec Orfeo que Robert Carsen a souhaité célébrer ses trente ans de carrière sur la scène lyrique. Pour ce faire, il s’est tenu à une interprétation d’une grande sobriété qui, pour rendre compte de son style, ne cède à aucune facilité. Certes, la poésie visuelle des Boréades n’est pas loin [lire notre chronique du 6 avril 2003], mais comme ces moyens expressifs qui font la grammaire intime d’un créateur. Sur un tapis de feuilles rousses et de fleurs, les bergers, en costumes pastels, signés Petra Reinhardt – choristes et danseurs chorégraphiés par Marco Berriel – fêtent les noces d’Orphée et d’Eurydice, farandole bon-enfant d’une réjouissante fraîcheur, sous la douce lumière d’une fin d’après-midi d’automne lombard. À son habitude, Carsen joue avec les frontières : après la toccata introductive dont la fanfare retentit depuis les baignoires, le Prologue est donné devant le rideau de fer par une Musica, en vêture du même pourpre que la salle, traversant le public avant de gagner le plateau ; encore la funeste Messaggiera surgit-elle dans l’assistance qu’elle surprend par sa puissante lamentation. Les épousailles ruinées, les rives de l'Achéron et les eaux impures ont envahi la scène au retour d’entracte, dissipant pour toujours la couleur d’un spectacle concentré sur l’initiation d’Orphée (décor de Radu Boruzescu).

En assaisonnant la fosse vaudoise de flûtes à bec, d’un continuo avec positif, régale, théorbe, guitare, archiluth, viole de gambe et harpe baroque (conduit par Giorgio Paronuzzi), mais aussi de deux cornets à bouquin empruntés aux Cornets noirs (Bâle), Ottavio Dantone, dont ici-même l’on saluait les probantes exécutions händéliennes [lire nos chroniques du 18 avril 2008 et du 24 février 2012], enrichit l’Orchestre de Chambre de Lausanne des teintes idéales. La sensibilité des inflexions répond idéalement à l’élévation de l’œuvre, tout en respirant admirablement le poème. De même félicitera-t-on les artistes du Chœur de l’Opéra de Lausanne, que dirige Antonio Greco, d’une prestation parfaitement musicale et de leur adresse à occuper harmonieusement l’espace.

Dans l’ensemble, la distribution vocale honore la favola.
D’abord un rien instable en Musica, Josè Maria Lo Monaco fait merveille en Messaggiera simplement bouleversante. La Ninfa de Mathilde Opinel n’est pas en reste, avec une émission franche. Enfin, parmi les dames (et à défaut d’une Eurydice insuffisante ou peut-être en méforme…), c’est la Proserpina de Delphine Galou (également Speranza) qui emporte les suffrages avec un chant luxueusement mené et un timbre particulièrement attachant. L’alto très précis d’Alessandro Giangrande, certes un peu confidentiel, convient parfaitement (Pastore, Spirito).

La clarté salutaire et la souplesse de la projection séduisent dans les interventions d’Anicio Zorzi Giustiniani (Apollo, Pastore, Eco), jeune ténor toujours fort engagé dramatiquement [lire nos chroniques du 18 décembre 2015 et du 15 février 2016]. Deux incarnations impressionnent avec bonheur : les Plutone et Caronte de Nicolas Courjal, généreusement projetés et théâtralement investis, et l’Orfeo captivant de Fernando Guimarães, infléchi dans une sorte de gouaille latine toute personnelle qui dit remarquablement le rôle (pour lui désormais familier) dans toutes ses nuances, dans le soin d’une ornementation saillante [sur le ténor portugais, lire notre critique du CD Vespro della Beata Vergine, ainsi que nos chroniques du 9 juillet 2013, du 25 janvier 2015, du 26 juin 2015 et du 30 juin 2016]. Deux dates, encore, pour cet Orfeo lémanique, dimanche 9 et mercredi 12 octobre : ne vous en privez pas, surtout !

BB