Chroniques

par bertrand bolognesi

musique pour le Roi Soleil
Christophe Rousset et Les Talens Lyriques

œuvres de Charpentier, Couperin, Marais et Rebel
Innsbrucker Festwochen der Alten Musik / Spanischer Saal, Schloß Ambras
- 20 août 2016
Christophe Rousset et ses talens Lyriques jouent à la Spanischer Saal (Ambras)
© nardi | innsbrucker festwochen der alten musik

C’est décidément à fêter leur anniversaire que les festivals destinent l’édition 2016 ! Ainsi des fringants trente ans du Festival Castell Peralada, en Catalogne [lire nos chroniques des 6 et 7 août 2016], mais encore des dignes soixante-dix du Bregenzer Festspiele, situé à quelques quarante-cinq lieues plus à l’ouest [lire nos chroniques du 28 juillet et du 17 août 2016]. Inaugurées le 19 juillet par un récital du contre-ténor Valer Barna-Sabadus, d’ailleurs applaudi ici-même il y a quatre ans [lire notre chronique du 14 août 2012], les Innsbrucker Festwochen der Alten Musik déploient un menu particulièrement fastueux où l’on retrouve grandes voix, ensembles baroques bien connus, jeunes artistes remarquables ainsi qu’un projet pédagogique dont nous parlerons demain.

La dernière semaine du festival est ouverte dans la somptueuse Salle espagnole de Schloß Ambras [lire nos chroniques du 11 août 2011, du 11 août 2012 et du 22 août 2013] par un Christophe Rousset en concert instrumental avec quatre de ses fidèles complices des Talens Lyriques. Exclusivement français, le programme s’intitule Musique pour le Roi Soleil et se concentre sur la décennie 1685/95, celle des guerres catholiques de Louis XIV, avec son lot de chimères et désillusions. Qui conduit le Tyrol alors ? D’abord Charles V de Lorraine et de Bar, vainqueur du second siège de Buda (3 septembre 1686) tant par les armes que par la diplomatie ; puis, à partir de 1688, le prince Max’ Emanuel de Bavière, lui aussi vainqueur des Turcs lors du siège de Belgrade (6 septembre 1688), et fait Gouverneur des Pays-Bas espagnols en 1692, détail qui complique notoirement les campagnes du monarque français (dont il est l’arrière-petit-cousin, via Henri IV, l’ancêtre commun).

Quatre compositeurs du temps dessinent la soirée.
En 1685, Marc-Antoine Charpentier ne peut toujours pas s’aventurer dans le domaine de l’opéra, tenu qu’il est, au même titre que ses collègues du royaume, de s’effacer devant le monopole du trop habile surintendant Lully. Son cadet de treize ans, Marin Marais, publie son premier livre de pièces pour viole en 1686. Plus jeune encore, le rare Jean-Féry Rebel fut élève du Florentin auquel il dédia une sonate en trio en 1695 (il a vingt-neuf ans ; il en avait vingt-et-un à la mort du maître, en 1687). Enfin, Couperin Le Grand fait ici figure de benjamin dont la clarté toute personnelle avance vers l’avenir, maillon essentiel qui déjà mène vers Rameau.

L’effectif au complet – Gilone Gaubert-Jacques et Virginie Descharmes (violons), Atsushi Sakaï et Marion Martineau (violes de gambe), Christophe Rousset (clavecin et direction) – fait sonner une Sonate de Charpentier dans une articulation qui, dès le Grave et le Récit, semble parler, littéralement. Délicate, l’ornementation conjugue une conduite raffinée de la dynamique, enchaînant des danses tour à tour mélancolique (Bourrée), fraîchement vindicative (Gavotte), enfin lumineuse (Chaconne salutairement brève).

Les deux violes et le clavecin offrent ensuite quelques pages du Premier Livre de Marais dont presque toujours la musique pleure, quoi qu’il arrive. Présente dès le Prélude, cette sorte de dolorisme affirme une profondeur indicible dans la Sarabande. Les Tombeaux siéent assurément à l’auteur, comme en témoigne celui du compositeur Pierre Méliton, infiniment recueilli. Et cette première partie de contraster avec La Superbe de François Couperin, toute d’enluminures et virevoltes, mouvements lents compris, discrète et gracieuse, toujours. La Sultane viendra conclure le concert dans un goût plus sérieux encore, dont le Gaiement demeure digne quand l’Air s’agrémente d’une tension aimable, jamais complaisante.

Auparavant, les interprètes honorent Rebel et son Tombeau de Lully.
On admire l’extrême pureté de la déploraison (Lentement, Gravement), la réminiscence de légèreté de Gai, tragique plutôt que triste, après quoi saisissant se fait le retour à un lento presque austère. Le passage en tremolo du Vivement porte l’hommage jusqu’à l’italianità de Lully. L’irrésistible clarté du clavecin confère aux Regrets une pensée élevée, dans la citation du premier mouvement. Sans conteste, les musiciens livrent le moment le plus sensible de la soirée. Généreux, ils offrent encore une brillante Chaconne de Charpentier pour remercier un public concentré, voire captif.

BB