Chroniques

par bertrand bolognesi

Mozart et Beethoven, pour conclure !
Cédric Tiberghien, Chœur Régional des Hauts-de-France

Orchestre de Picardie, Jean-Claude Casadesus
Lille Piano(s) Festival / Nouveau Siècle
- 20 juin 2021
Cédric Tiberghien et Jean-Claude Casadesus dans Mozart et Beethoven
© ugo ponte | onl

Tout a une fin, même l’édition 2021 de Lille Piano(s) Festival. Entre récitals classiques, au piano, à l’orgue ou encore au clavecin et même en Liederabend, concerts jazz, musique du monde, électro, rap, etc., des moments avec orchestre ponctuent régulièrement ses trois intenses journées. Ainsi du concert d’ouverture où l’Orchestre national de Lille (ONL), à l’initiative de l’événement depuis dix-sept printemps, et son nouveau chef Alexandre Bloch [lire nos chroniques des 2 et 28 février, 3 avril, 8 et 28 juin puis 1er octobre 2019] jouèrent Ligeti et Prokofiev (le soliste était Lucas Debargue). S’y ajoutent un premier rendez-vous avec l’Orchestre de Picardie dirigé par Arie van Beek [lire notre chronique du 8 mai 2021] défendant un programme Poulenc et Beethoven avec le Játékok, et ce concert de clôture, second moment de cette formation, placée cette fois sous la direction de Jean-Claude Casadesus, fondateur en 1976 de l’ONL dont il a mené la destinée durant quatre décennies.

Il est 19h30 lorsque retentit Blow Up, composition électronique d’Åke Parmerud mise en ondes par Hervé Dujardin. Il s’agit du voyage, dans l’auditorium du Nouveau Siècle, des sept la d’un piano. Après la création de cette commande de l’ONL et de Lille Piano(s) Festival les musiciens prennent place sur le plateau où les rejoignent bientôt Cédric Tiberghien et le chef. Le dernier menu se veut exclusivement classique, sans pas de côté vers quelque souvenir baroque, bien qu’avec un pressentiment romantique. Le Concerto en la majeur K.488 n°23, écrit par Mozart en 1786, fit toute l’admiration d’Olivier Messiaen qui l’a qualifié d’éblouissant chef-d’œuvre dans les notes des concerts d’Yvonne Loriod qu’il rédigea à l’automne 1964 : « par la qualité des thèmes, la puissance des contrastes, l’originalité prophétique du mouvement lent, la brillance orchestrale du final, il se place au tout premier rang des concertos ; c’est sûrement le plus parfait de tous, sinon le plus beau ! », s’enthousiasme-t-il (in Les vingt-deux concertos pour piano de Mozart, Librairie Séguier, 1990).

L’Allegro s’en trouve gentiment dessiné, lorsque le soliste fait sa première entrée, dans une douceur bénie. Le jeu de Tiberghien s’avère très clair, sans affèterie. Après un vigoureux échange de saveurs entre pupitres, la cadenza se pose, souveraine et tonique. Nu et dolent, le lamento de l’Andante bouleverse par la lumière avec laquelle le soliste l’habite – « une sorte de forlane lente, rêveuse, affaissée, se complaisant dans son désespoir », nous dit encore Messiaen (même source). Dans une troublante et paradoxale légèreté, la mélancolie contamine l’orchestre, dans une simplicité bénie à laquelle veille sagement Casadesus. Au Rondo d’alors afficher ses bondissements, perçus comme sursauts d’indécence après le recueillement de l’épisode médian. Tout est bien qui finit bien, semble conclure le Salzbourgeois.

Le 22 décembre 1808, au Theater an der Wien où la première de son Fidelio avait eu lieu trois ans plus tôt, Ludwig van Beethoven dirigeait du clavier la création de la Fantaisie chorale en ut mineur Op.80 pour piano, cinq voix solistes, chœur et orchestre. Pour avoir généré l’Ode à la joie de la Neuvième seize ans plus tard, l’œuvre est elle-même issue d’une brève cantate de 1794, conçue pour voix et piano (Seufzer eines Ungeliebten-Gegenliebe WoO 118). Ainsi la mélodie illustrera-t-elle tour à tour les vers de Gottfried Bürger (1747-1794) et de Christoph Kuffner (1780-1846) avant que ceux de Schiller en héritassent. Cédric Tiberghien [lire nos chroniques du 7 septembre 2003, du 24 juillet 2004, des 31 mai et 23 novembre 2006, enfin des 21 mai et 5 novembre 2014] répond présent à l’injonction péremptoire de l’Adagio, maintenant toutefois une délicatesse bien venue en ciselant adroitement la nuance. Le saupoudrage orchestral survient avec le Finale, indiqué Allegro, où brille bientôt la flûte solo de François Garraud et les hautbois de Maryse Steiner-Morlot et Anne Clément-Philippe. L’Allegro ma non troppo revient à un sextuor vocal dont les forces s’équilibrent idéalement – Emanuela Ducornez et Bobae Kim (soprani), Mathilde Legrand (alto), Alfred Bironien et François Mulard (ténors), Julien Ségol (basse) –, puis au Chœur Régional des Hauts-de-France, préparé par Éric Deltour.

« Nehmt denn hin, ihr schönen Seelen,
froh die Gaben schöner Kunst.
Wenn sich Lieb und Kraft vermählen,
lohnt dem Menschen Göttergunst. » *

Sur ces accents festifs et généreux s’achève le Lille Piano(s) Festival [lire nos chroniques des récitals de Bernard Foccroulle, de Dmitri Kalaschnikov et Kenji Miura, de Mikhaïl Bouzine, de Judith Jáuregui et de Florian Noack]… pour cette année, du moins !

BB

* « Dans la joie, recevez donc,
belles âmes, les dons de l'art.
Quand amour et force se joignent,
des dieux l'humanité reçoit la faveur. »
[Christoph Kuffner, traduit par Bertrand Bolognesi]