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Chroniques
cycle Gustav Mahler – épisode 1
Alexandre Bloch dirige l’Orchestre national de Lille
Après des décennies de relatif purgatoire, Mahler et son corpus symphonique font désormais partie du répertoire, au point d'être devenu une sorte de rite de passage pour les chefs. Ainsi Alexandre Bloch, à la tête de l'Orchestre national de Lille depuis septembre 2016, programme-t-il son intégrale, donnée en 2019 dans l'ordre chronologique, avec la Neuvième livrée en janvier 2020.
Si quelques concerts sont complétés par d'autres pièces pour pallier la durée de la symphonie, l'ouverture du cycle met également en avant une initiative du jeune directeur musical, par ailleurs féru de nouvelles technologies. La première partie de la soirée est consacrée à une expérience de concert connecté, après un premier essai réussi autour du Sacre du printemps, en janvier 2018. À travers l'application gratuite Smartphony, développée par une start-up française, Waigéo, public et internautes peuvent participer à l'animation ludique autour de Mahler, sous la houlette du chef en personne, même si la main levée prend souvent le relais de la saturation du réseau. Entre chacune des questions, relatives à la vie et l'œuvre du compositeur austro-hongrois, un motif d'une des symphonies est arrangé en jingle par l'orchestre – seule la Huitième semble absente de cette réduction panoramique.
Après l'entracte, les mélomanes novices et avertis découvrent la lecture de la Symphonie en ré majeur n°1 « Titan ». S'il serait facile d'en induire la vitalité juvénile à partir de celle de la baguette, les murmures auguraux du Langsam, schleppend. Wie ein Naturlaut (Lentement, en traînant. Comme un bruit de la nature) ne manquent pas de tendresse pastorale, à l'affût des mystères sonores environnant, magnifiés par la fluidité des pupitres d'harmonie et les embruns éthérés des cordes. La transition vers l’Im Anfang sehr gemächlich (Au début très tranquille) ne dément pas cette douceur, jusque dans le modelé de contrastes qui évite toute dramatisation inutile. L'alchimie d'allant et de légèreté dans les textures n'obère nullement l'épanouissement solaire des couleurs, teinté d'un sourire d'innocence que l'on retrouve dans le Scherzo, Kräftig bewegt, doch nicht zu schnell (Énergique et animé, mais pas trop rapide), galbé dans le même séduisant rubato délié, jamais appuyé. La balance avec le Trio, Recht gemächlich (Vraiment tranquille) se révèle habile, dans une esquisse discrètement méditative.
La marche parodiant la mélodie de Frère Jacques, indiquée Feierlich und gemessen, ohne zu schleppen (Solennel et mesuré, sans traîne), confirme une conception qualifiable d'optimiste, et persévère dans une sonorité souple. Si elle est nettement perceptible, la versatilité émotionnelle conserve la pudeur et l'affection du souvenir où l'inquiétude sourd parfois, sans jamais se faire menaçante. Rompant, en apparence, avec cette esthétique qui caresse l'ironie, le finale, Stürmisch bewegt (Tourmenté et agité), se bouscule vers la vigueur d'une fugue au souffle presque épique – mais sans sérieux excessif – et la triomphante péroraison de la coda signe d'abord la jubilation des ressources de l'orchestre, assoiffée d'éclat, irradiant d'une énergie dont la sérénité semble évidente. La Première Symphonie n'est pas – pas encore ? – celle des tortures affectives mahlériennes.
GC