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Chroniques
cycle Gustav Mahler – épisode 6
Orchestre national de Lille, Alexandre Bloch
Initiée au début de l’année, l’odyssée mahlérienne de l’Orchestre national de Lille et d’Alexandre Bloch se poursuit en cette nouvelle saison avec, en guise d’ouverture, et suivant l’ordre chronologique retenu pour le cycle, la Symphonie en la mineur n°6 « Tragique ». Si les musiciens de la phalange semblent désormais familiarisés avec la disposition du plateau défendue par leur chef – répartition des violons de part et d’autre de la baguette, et contrebasses au fond, surtout –, le sixième jalon du corpus symphonique de Mahler met à l’épreuve la maîtrise et l’endurance des pupitres, par-delà l’apparence rassurante du schéma classique de la construction formelle.
L’attaque de l’Allegro energico, ma non troppo – Heftig, aber markig résonne d’une manière âpre et implacable, sans doute un peu trop raide et massive. Le contraste avec la seconde matrice thématique, plus lyrique, façonne une efficace balance dynamique. La tension de la ligne se fait plus fragile, jusque dans des fins de phrases mélodiques aux confins de la frêle hésitation, comme une interrogation amortie par un expressif sfumato. Si les couleurs de l’harmonie soutiennent la robuste progression de la marche funèbre, elles font chatoyer la tendresse inquiète du contrepoids plus intime, avec un éclairage des détails sur l’ensemble du spectre sonore, murmures menaçant des graves du contrebasson inclus.
Mahler a plus d’une fois hésité quant à l’ordre entre les deuxième et troisième mouvements, même si l’usage de jouer le Scherzo, indiqué Wuchtig, dans le prolongement de la nervosité de l’allegro augural constitue la solution la plus souvent retenue. Outre la même tonalité de la mineur, les deux mouvements partagent une force émotionnelle voisine qui isole avec plus de relief l’Andante moderato en mi bémol majeur, comme une retraite pastorale dans le combat du héros, avant l’épopée finale immense et désespérée, à nouveau en la mineur. Au sein d’une pâte homogène au diapason de la disposition affective, la richesse des plans sonores se met parfois en léger retrait de l’élan général. La ouate évocatrice des cordes de l’Andante moderato prélude à une fièvre onirique qui gagnerait sans doute à plus de gradation et de modulation, pour mieux épouser la souplesse inquiète de l’inspiration.
Dans les dimensions imposantes du final, Allegro moderato – Allegro energico, les musiciens lillois semblent avoir concentré leur énergie. La baguette modèle les vagues successives de lutte et de reflux avec un évident instinct de l’architecture dramatique, puisant dans les multiples sources musicologiques et biographiques ses choix d’interprétation. L’un des plus saillants concerne le fameux coup de marteau, éludant l’ultime dans l’éclat conclusif, inutile – au delà de la prétendue superstition – dans la faiblesse dernière du combattant, progressivement mis en infériorité par un Destin qui n’a guère besoin de tout son arsenal pour l’achever. Jeune encore peut-être, mais déjà interprète immergé et passionné, Alexandre Bloch rassemble toutes ses ressources pour un cycle dont la prochaine étape sera la Septième le 18 octobre.
GC