Chroniques

par katy oberlé

Lucia di Lammermoor | Lucie de Lammermoor
opéra de Gaetano Donizetti

Teatro Real, Madrid
- 7 juillet 2018
au Teatro Real (Madrid), Lucia di Lammermoor terrible de David Alden !
© javier del real

Après l’Italie, brève incursion en Espagne, pour deux soirs consacrés à Donizetti. D’abord Madrid, où le plus célèbre de ses opéras, Lucia di Lammermoor, n’a plus été donné depuis dix-sept ans. Pour une quinzaine de représentations aux distributions alternées, le Teatro Real accueille une production que David Alden a réalisé il y a déjà un moment à l’English National Opera. Il transpose l’action dans le XIXe siècle et le règne de la reine Victoria, si moraliste et dur qu’il génère bien des perversités dans la vie de la bonne société britannique. Brigitte Reiffenstuel a conçu des costumes séduisants, contemporains de Walter Scott dont le livret s’inspire. La scénographie de Charles Edwards montre la maison où le drame se déroule, demeure austère et sombre aux tons noirâtres, qui tient la jeune héroïne prisonnière de la famille. Elle ne peut pas échapper à ses ancêtres dont la galerie de portraits hante le décor. Adam Silverman construit des lumières anguleuses et hostiles. Tout est oppression, comme ces noces imposées selon la tradition, comme ce frère tordu qui viole Lucia lors d’une scène qui a pu choquer mais qui m’a semblé défendre un point de vue tout à fait pertinent. Qu’elle soit traversée de brutalité ne fait que renforcer le côté gothique du roman d’origine. En plus d’être victime du machisme archaïque qui ne lui accorde d’existence qu’en tant que monnaie d’échange, la fiancée doit se soumettre à l’inceste. La torpeur psychologique de la conclusion est juste. Alden réussit donc à éclairer différemment ce classique du bel canto.

Sous la direction d’Andrés Máspero, le chœur maison est très investi, aussi bien dans la prestation musicale que dans le théâtre. En revanche, bien qu’on ne puisse pas dire que Daniel Oren n’est pas concerné, bien sûr, sa lecture ne tient pas vraiment la route. Ralentir les tempi à l’extrême pourrait être une bonne idée pour faire entendre le fameux sextuor – superbe, ce soir –, sauf qu’à le suspendre à ce point, la tension dramatique nécessaire est carrément dissoute. Ensuite, il a beau tenter de resserrer les boulons, ça ne marche plus. C’est doublement dommage, d’abord parce que la qualité de la fosse est incontestable, ensuite parce qu’il joue aujourd’hui une version complète, sans aucune des coupures attendues et avec tous les da capo.

Heureusement, le cast du jour s’en sort haut la main.
À l’aide d’une technique redoutablement précise, Lisette Oropesa sert magnifiquement le rôle-titre. La netteté des trilles et la fiabilité du phrasé n’y suffiraient pas, toutefois, si le soprano ne possédait un vrai sens de la scène qu’elle utilise à défendre avec un impressionnant don de soi l’option du metteur en scène. Le résultat est une Lucia palpitante [lire nos chroniques du 26 juillet 2016, du 30 juin 2014 et du 26 juillet 2011] ! Très applaudi ici-même il y a deux ans [lire notre chronique du 14 juillet 2016], Javier Camarena offre une prise de rôle épatante avec son brillant Edgardo. Lyrique, la voix est facile, avec des aigus tombés du ciel. Et quel legato de rêve ! C’est une vigueur de ténèbres qui anime l’Enrico complétement cinglé de l’excellent baryton polonais Artur Ruciński [lire nos chroniques du 1er décembre 2017 et du 2 mars 2013]. La robustesse sans appel de l’attaque vocale travaille main dans la main avec la conception d’un personnage terrible. On retrouve la voix splendide de Roberto Tagliavini, Raimondo charismatique à la noblesse convaincante [lire nos chroniques des 10 juin et 16 mars 2017, du 31 janvier 2016 et du 17 novembre 2015]. Avoir confié à Yijie Shi la partie d’Arturo est surprenant car le ténor dispose de riches moyens qui l’autorisent à aborder des premiers rôles – il faut bien commencer un jour, bon… J’espère l’entendre bientôt dans du costaud ! Quoique dans une incarnation plus réduite encore, j’ai beaucoup apprécié le beau phrasé d’Alejandro del Cerro (Normanno). Pour les voix, c’est un sans-faute !

KO