Chroniques

par gilles charlassier

Mitridate, re di Ponte | Mithridate, roi du Pont
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart

Münchner Opernfestspiele / Prinzregententheater, Munich
- 26 juillet 2011
© wilfried hösl

Cette édition du München Opernsfestspiele se veut décidément audacieuse, en programmant deux nouvelles productions d’ouvrages rares. Après le Saint-François d’Assise de Messiaen [lire notre chronique du 5 juillet 2011], l’institution bavaroise présente le premier opera seria de Mozart, Mitridate, re di Ponte, créé à Milan en 1770. Tandis que la première munichoise s’est tenue en 1990 au Cuvilliés-Theater, au cœur de la Residenz, les forces de la maison se sont cette fois déplacées au Prinzeregententheater, témoin de l’architecture Jugenstil, sis sur l’autre rive de l’Isar.

La partition du compositeur adolescent s’appuie sur un livret de Vittorio Amadeo Cigna-Santi, inspiré par la version de l’abbé Parini de la tragédie de Racine. Deux frères, Sifare et Farnace, partagent une rivalité amoureuse pour Aspasia, promise à leur père Mitridate, laissé pour mort. Celui-ci revient se débarrasser de sa traîtresse progéniture. Menacé par la défaite face aux Romains, il se porte un coup d’épée mortel. Sur son cadavre, ses deux fils se réconcilieront. L’argument, bien que traité avec ambages, peut être perçu comme une esquisse d’Idomeneo – la relation père-fils.

Il n’est guère douteux que le nom de Mozart ait autorisé des audaces scénographiques que l’on n’aurait osé cataplasmer sur les ouvrages de contemporains à demi oubliés. Avec une ficelle pseudo-psychanalytique et une bonne dose de trash, laquelle semble être l’autre signature de cette nouvelle édition, David Bösch a trouvé la matrice de son travail. Sur un fond de scène tapi de noir sont projetés des caricatures de Saint-Exupéry dues à Patrick Bannwart où la schématisation manichéenne se substitue à l’évocation poétique. Pendant l’Ouverture, l’on voit un garçon en train d’essayer d’écrire un opéra, puis raturer, se mettre en colère, et enfin se réjouir auprès de son papa d’avoir trouvé la solution. Toute allusion avec la biographie de Mozart serait naturellement fortuite… Se succèdent ensuite, dans une profusion de laideur, les avatars virtuels des personnages sortis de quelque bande dessinée hémorragique, nous permettant de suivre efficacement l’intrigue. Le procédé vidéographique, aussi pusillanime que l’œuvre à illustrer, présente l’avantage de maintenir l’intérêt du spectateur. Quant à elle, la scène n’offre guère de procédé qui n’aient été éculés.

L’écriture de cet ouvrage de jeunesse sert fidèlement les prescriptions du style galant en vogue à l’époque et fait songer à Jomelli, par exemple, entendu à Paris sous la baguette de Riccardo Muti, il y a deux ans [lire notre chronique du 16 juin 2009]. Le métier du jeune musicien souffre un peu de sa naïveté, même si des promesses du génie futur bourgeonnent çà et là. Ainsi la composition se résume-t-elle à une succession de recitativi et d’arie que couronne un bref quintette à la fin du troisième acte.

Une structure pareillement linéaire favorise la virtuosité des interprètes, flattée par des guirlandes de vocalises, principale attraction de cet opéra pour gallinacées. Le rôle-titre est incarné par Barry Banks. La compression nasale de l’émission confère au souverain les atours ingrats de la cruauté que lui réserve le livret. Anna Bonitatibus fait merveille dans le rôle de Sifare, exhibant une ligne et des ornementations séduisantes. Sous les vêtements du frère rival, Farnace, Lawrence Zazzo se montre en forme. La perfidie du personnage est portée par un instrument à la projection indéniable et aux couleurs de registre de tête idiomatiques. Patricia Petibon réjouit en Aspasia, quand bien même la vocalité accuse quelques duretés qu’on ne lui connaissait pas. La tessiture n’est jamais mise en danger, à l’inverse de la souplesse. Le charme de Lisette Oropesa convient à la discrète Ismene. Eri Nakamura est reconnaissable en Arbate, et la partie de Marzio est défendue avec honnêteté par Alexeï Kudrya.

On peut savoir gré à Ivor Bolton de conduire avec modération la formation réduite, prise dans l’effectif du Bayerische Staatsorchester, avec moins de robustesse et d’épaisseur que de coutume, mais toujours à l’écart des excès d’agitation auxquels d’aucuns nous ont familiarisés. La performance orchestrale ne présente cependant guère de couleurs saillantes, le solo de cor de Zoltán Mácsai n’instillant qu’une anodine atmosphère d’élégie – Mozart n’avait pas encore découvert le Sturm und Drang qui innervera son Idomeneo. Que les absents se rassurent, de nouvelles représentations sont programmées en juillet prochain, aux côtés de deux cycles d’une nouvelle production du Ring.

GC