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Chroniques
Louis-Noël Bestion de Camboulas dirige Les Surprises
Passio Domini nostri J.C. secundum Evangelistam Johannem BWV 245
Au départ ensoleillé du quarante-quatrième Festival de musique baroque d’Ambronay, concomitant des Journées du patrimoine et autres fêtes autour de l’hôtel de ville, la commune de l’Ain a tout l’air du plus beau village de France. Plusieurs scènes mêleront de manière séduisante divers genres musicaux durant près d’un mois. Pour débuter, les chemins convergent vers l’Abbatiale qu’emplit à nouveau la foule, composée de fidèles baroqueux et de passionnés du génie de Johann Sebastian Bach. La Johannes-Passion est en effet le trésor déposé comme au pied d’un arc-en-ciel en la vaste forêt par de joyeuses créatures habituées des lieux... Les Surprises [lire nos chroniques du 16 septembre 2018 et du 24 août 2019, ainsi que du CD Issé] n’ont pas encore la peau bleue, mais toujours pour piliers fondateurs le chef Louis-Noël Bestion de Camboulas et la violiste Juliette Guignard.
Du monument musical, référence absolue du genre, créé à Leipzig en 1724 puis remis sur le métier par le Cantor sa vie durant, l’ensemble bordelais atteint surtout les richesses par la haute qualité des parties de chœur. Du poignant Herr, unser Herrscher initial et sa reprise tourbillonnante, suivi de la splendide explosion vocale lors de la théophanie, jusqu’au somptueux Ruht wohl, ihr heiligen Gebeine conclusif, en passant par les contrastes entre les accents tempétueux de la Turba (la foule hostile) et la magnifique expression des disciples, d’apparence liturgique quoiqu’au chant au lyrisme pénétrant, toutes les exigences de la polyphonie de Bachsont bien satisfaites. Vigueur et douceur sont soutenues avec ampleur et transport par l’orchestre, parfait véhicule de sentiments aussi forts que la liesse, la révolte, etc. Le récit évangélique prend ici la forme d’une traversée dramatique intense, sous la maîtrise de Louis-Noël Bestion de Camboulas (également au clavecin).
Les solistes vocaux ne sont pas en reste. À commencer par la basse de Jean-Christophe Lanièce (Jésus), tour à tour noble et profonde (ainsi dans l’arioso Betrachte, mein Seel), puis solennelle, véloce et enfin d’une honnêteté simple pour conclure : Es ist vollbracht [lire nos chroniques de Bohème, notre jeunesse, Ariadne auf Naxos et Platée]. Sur les mêmes mots, l’alto Blandine de Sansal chante un air à fendre les pierres, d’une émission claire, sobre et étirée à souhait sur Trauernacht [lire notre chronique de Combattimento, la théorie du cygne noir]. Funèbre nuit d’été, chaude comme un brasier dont Eugénie Lefebvre se ferait sorcière par la grâce de son souverain soprano, enflammé et presque brutal (Ich folge dir gleichfalls) [lire nos chroniques de Cadmus et Hermione et de La forêt bleue].
En Pilate, la basse Étienne Bazola se montre savamment corsé et d’une grande générosité pour Mein teurer Heiland, le riche air final avec chœur. Paco Garcia s’impose comme ténor baroque dans Erwäge, wie sein blutgefärbter Rücken, complainte déchirante mais digne, à l’énivrant charme italien [lire notre chronique des Nozze di Figaro] ; associées aux lamentations de l’orchestre, ses vocalises appuient avec originalité le caractère méditatif de la poésie biblique. Même charge émotive bouleversante dans l’arioso Mein Herz, très justement à vif. À merveille le jeune soprano Cécile Achille lui emboîte le pas pour Zerfliesse, mein Herz, remarquable expression de l’affliction et de la détresse, avec une jolie facilité dans les aigus [lire nos chroniques de Passio Domini nostri J.C. secundum Evangelistam Matthaeum BWV 244 et de Georges Dandin, ainsi que du CD André Caplet]. À sa suite est dressé un tableau d’horreur qui pourtant contient aussi un superbe aveu de fébrilité, expiré comme soupire une statue dans l’attente d’un rêve de porcelaine ; il s’agit du pénultième récit offert par l’Évangéliste, possible clé de voûte de la distribution, ici tout à fait assurée par le ténor Davy Cornillot, excellent.
FC