Chroniques

par laurent bergnach

André Caplet
œuvres variées

1 CD Klarthe (2023)
KLA 166
Takenori Nemoto joue la musique d’André Caplet (1878-1925)

Le temps passant, la gloire d’André Caplet (1878-1925) paraît se réduire au fait d’avoir œuvré à celle de son ami Debussy, via des réductions pour piano (La mer, Images, etc.) ou, au contraire, des orchestrations (Children’s Corner, Pagodes, etc.), sans même parler de la création du Martyre de Saint-Sébastien (1911), en tant que chef d’orchestre. Proposé par Takenori Nemoto à la tête de l’ensemble Musica Nigella, enregistré par Christophe Mazzella au Théâtre de Montreuil-sur-Mer (Pas-de-Calais), ce programme permet de rappeler que le Havrais d’origine signe un catalogue chambriste qui n’a rien d’indigent.

En 1900, à la veille de recevoir le Prix de Rome devant Gabriel Dupont et Maurice Ravel, Caplet écrit la Suite persane pour double quintette à vents. Comme l’explique Nemoto dans la notice du CD, « chaque mouvement correspond à une mélodie spécifique inspirée soit d’une gamme persane, soit d’un chant populaire perse ». On apprécie ses trois parties fleuries, dignes d’illustrer les paysages exotiques d’un film muet, mais également cette gravure qui magnifie la présence d’instruments agencés avec un grand art de l’équilibre. Un an plus tôt, la mécène Elise Hall, saxophoniste à ses heures, fondait le Boston Orchestral Club et commençait à passer des commandes auprès de Français tels que Claude Debussy et Florent Schmitt. Approché lui aussi, Caplet compose plusieurs versions de Légende (1905), la première pour saxophone et piano, puis deux autres pour orchestre symphonique et orchestre de chambre – celle enregistrée ici. Dans ce quart d’heure sensuel et coloré, où pointe parfois l’héritage wagnérien, les traits solistiques mettent en valeur les instruments à tour de rôle. Quant à lui, le saxophone d’Émilie Heurtevent s’affiche tout en discrète rondeur et souplesse.

Puis vint une nouvelle commande : celle de Gustave Lyon qui, pour la maison Pleyel, avait imaginé une harpe chromatique sans pédales, pourvue de deux rangées de cordes – là encore, Debussy et Schmitt répondirent présent. Lorsque faiblit l’aura de cette invention, au début des années vingt, Caplet s’intéresse au projet de Micheline Kahn de reprendre son Étude symphonique (1908), d’après Le masque de la Mort rouge d’Edgar Poe, cette fois avec une harpe Érard. Quitte à faire des aménagements pour rendre possible l’exécution, un quatuor à cordes remplace l’orchestre au côté de la soliste, et c’est ainsi que naît Conte fantastique (1923), l’une des compositions les plus connues de son auteur, fort appréciée des harpistes [lire nos chroniques consacrées à Sandrine Chatron et à Pierre-Michel Vigneau]. Débutée dans une tendresse vite inquiétante, l’œuvre s’avère animée, expressive voire presque expressionniste. La respiration des musiciens réunis autour de la harpe d’Iris Torossian est des plus estimables.

La voix n’est pas absente de la production d’André Caplet, lequel décline souvent en d’autres versions ses mélodies avec piano [lire nos chroniques de Trois fables, Le vieux coffret et Cinq ballades françaises]. C’est le cas de La chanson la plus charmante (1900), connue aujourd’hui sous le titre Viens ! une flûte invisible soupire, dont l’arrangement pour ensemble est enregistrée en première mondiale. Laurent Deleuil chante les vers de Victor Hugo d’un baryton assez maniéré qui tranche malheureusement avec la fraîcheur de cette page. Autre adaptation, celle des Prières (1917), un cycle de mélodie de guerre que peuvent assumer voix et orgue, voix et orchestre ou encore, comme ici, voix, harpe et quatuor à cordes – annonçant l’instrumentarium du Conte fantastique. D’un soprano fiable à l’intonation qui va droit au but, Cécile Achille [lire notre chronique de Georges Dandin] en interprète les trois portions (Oraison dominicale, Salutation angélique, Symbole des apôtres) dont les paroles rappelleront leur catéchisme à d’aucuns.

À première vue, Trois fables de La Fontaine (1919) n’existait que pour voix et piano. En effectuant des recherches, Takenori Nemoto découvrit une orchestration achevée (Le corbeau et le renard) et quelques fragments (La cigale et la fourmi). Lui-même corniste et compositeur, il décide alors de compléter ces derniers et d’imaginer toute la troisième partie (Le loup et l’agneau) en étudiant d’autres partitions d’orchestre de Caplet – « ses idées en matière d’orchestration m’ont paru tellement claires que je n’ai pas eu beaucoup à hésiter dans mes choix instrumentaux et stylistiques », explique-t-il (ibid.). Cette fois, en fidèle serviteur de la mélodie française [lire notre critique du CD Le travail du peintre], Laurent Deleuil se fait plus tranchant, mais c’est le tempo général de ces miniatures qui déçoit, étiré au point que l’ombre du cabotinage évacue rapidement une drôlerie à peine éclose.

LB