Chroniques

par irma foletti

Les pêcheurs de perles
opéra de Georges Bizet

Grand Théâtre, Genève
- 17 décembre 2021

La présente production des Pêcheurs de perles a été créée par Lotte de Beer [lire nos chroniques de Mosè in Egitto, Il trittico, La pucelle d’Orléans et Le nozze di Figaro] en 2014 au Theater an der Wien et reprise, entre autres, au Liceu de Barcelone en 2019. Le spectacle s'écarte radicalement de la reconstitution historique, en décalant l'intrigue dans le cadre d'un jeu télévisé, entre Koh-Lanta et L'Île de la tentation. Les acteurs sont déjà sur scène quand on entre en salle, l'équipe de tournage effectuant les derniers repérages pour la réalisation en direct qui suivra. L'élément principal des décors de Marousha Levy consiste en un immense disque vertical en fond de plateau, recouvert d’un tulle qui accueille les projections vidéo et laisse voir, en transparence, les trois niveaux de pièces d'appartements. À l'intérieur, l'activité essentielle des habitants est de regarder le poste de télévision, sans perdre une miette de la fameuse émission Les pêcheurs de perles, le Challenge !. C’est par les votes des téléspectateurs que Zurga est désigné chef des pêcheurs et que plus tard, à une écrasante majorité, la mort plutôt que la grâce est choisie pour le sort des amoureux Leïla et Nadir

Même si l’on arrive parfois à saturation dans les clins d'œil et les tics télévisuels (on pense en particulier à l'utilisation du micro), il faut reconnaître que cette lecture fonctionne correctement. Mais on apprécie aussi les pauses et absences de l’équipe technique, omniprésente au premier acte, beaucoup moins au cours des deux suivants. Ainsi le début du II, où Leïla chante seule devant un magnifique temple bleu sur fond de disque lunaire, rejointe ensuite par Nadir pour un duo qui respecte leur intimité, est un moment sans agitation et reposant pour la vue et l'esprit. Le précipité entre les Actes II et III est mis à profit pour visionner de vrais-faux entretiens en micro-trottoir dans les rues de Genève, des réponses à la question La grâce ou la mort ?, follement drôles et en même temps grinçantes. Le jeu théâtral à l'intérieur des appartements est également fort bien réglé. On note que les familles les plus aisées logent dans les étages supérieurs, alors que plus bas une grande pièce abrite visiblement des supporteurs du Servette de Genève, bonnets sur les têtes et crosses de hockey en mains.

Malgré leur répartition dans les différentes pièces d'habitation, les choristes, préparés par Alan Woodbridge, parviennent tout de même à assurer une coordination qu'on imagine, pour le coup, comme un véritable challenge, séparés qu'ils sont par les cloisons et les planchers. Le chef David Reiland arrive aussi à maintenir la cohésion générale, aux commandes d'un Orchestre de la Suisse Romande appliqué, délivrant, de manière générale, des tempi plutôt lents.

La distribution vocale est de bon niveau et agréablement homogène, sans atteindre toutefois à l'exceptionnel. En Leïla, Kristina Mkhitaryan fait entendre un joli soprano, capable de colorature et d'extensions vers l'aigu, une palette de nuances étendue entre diminuendo et notes plus franches, un chant délicat et juste – par exemple dans l’air Comme autrefois [lire nos chroniques de Giasone et des Indes galantes]. La qualité de diction de Frédéric Antoun (Nadir) est supérieure, mais le ténor ne nous paraît pas se présenter dans sa meilleure forme vocale, avec de petites fragilités qui donnent par moments l'impression d'un chant quelque peu forcé, ainsi qu'une intonation régulièrement trop basse, en particulier au long de Je crois entendre encore, filmé en gros plan. Le ténor québécois tient tout de même son rôle sans incident, mais on ne le sent pas totalement épanoui [lire nos chroniques d’Hippolyte et Aricie, Die Zauberflöte, Così fan tutte, Otello et Proserpine]. Le contraste est marqué avec le baryton Audun Iversen en Zurga, doté une voix sonore et richement timbrée qui respire la santé, exprimée de plus dans un français remarquable. Son air du III, Ô Nadir, tendre ami de mon jeune âge, est l'un des sommets de la soirée [lire notre chronique de Benvenuto Cellini]. La basse Michael Mofidian (Nourabad) est également solide, davantage dans la partie grave du registre que dans l'aigu, parfois tendu. Le volume est cependant moins développé que celui de son confrère baryton, le chanteur étant assez rapidement couvert lorsque l'orchestre joue à pleine puissance.

IF