Chroniques

par irma foletti

Le nozze di Figaro | Les noces de Figaro
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart

Festival d’Aix-en-Provence / Théâtre de l’Archevêché
- 30 juin 2021
Thomas Hengelbrock joue "Le nozze di Figaro" au festival d'Aix-en-Provence
© jean-louis fernandez

Après une année blanche en 2020, le public est de retour au Théâtre de l’Archevêché pour l’ouverture du Festival d’Aix-en-Provence par Le nozze di Figaro dans la nouvelle production de Lotte de Beer [lire nos chroniques de Mosè in Egitto et d’Il trittico] qui opère un joyeux retour à la vie théâtrale, une réalisation dense en idées, mouvements, couleurs… et sexe(s) ! C’est bien de théâtre dont il est question, dès la pantomime jouée en avant-scène pendant l’Ouverture, les protagonistes et quelques personnages de la commedia dell’arte évoluant autour et dans le grand lit placé au centre. Puis le rideau tombe et laisse découvrir le décor constitué de la chambre à coucher à gauche et du salon à droite, deux grosses machines à laver étant intercalées entre ces pièces de vie qui rappellent les sitcoms des années quatre-vingt. Susanna passe l’aspirateur en qualité de femme de ménage, la Comtesse pratique sa gymnastique en leggings rose et l’on cache Cherubino dans le lave-linge quand le Comte arrive. L’humour est très régulièrement présent pendant la soirée, comme lorsque le tambour de l’engin se met à tourner, la main de Cherubino appellant au secours derrière le hublot : le jeune homme en sweet rouge trop grand, survêtement mauve et casquette vissée sur la tête, en ressort avec des habits ayant nettement rétréci au lavage ! Deux panneaux lumineux suspendus Applause et Laughter s’allument par instants, ce dernier quand la situation est censément drôle, mais le procédé n’est heureusement utilisé qu’à petites touches.

Le deuxième acte démarre avec la Comtesse et son Porgi amor, avant de se mettre au lit, peu réceptive aux approches de son mari. Désabusée, elle sombre un peu plus dans la déprime et tente à plusieurs reprises de se suicider, sauvée in extremis par Susanna. Sa dernière tentative en particulier, où elle plonge le sèche-cheveux dans une bassine d’eau, provoque des étincelles et un court-circuit général. Susanna revient avec les cheveux en pétard après avoir subi une électrisation. L’humour est encore bienvenu lorsque le Comte fait tomber, d’un coup de fusil, toutes les cloisons de la chambre, mais de nettement moins bon goût lorsqu’on insiste sur la très longue – à tous les sens du terme – érection de Cherubino en présence de la Comtesse. La fin de l’Acte II déborde aussi dans ce sens, avec un phallus marchant à petits pas à la suite de Cherubino qui était caché dans l’armoire, puis un autre et ainsi de suite, puis la scène finale qui convoque aussi une tête géante de poupée gonflable ou encore un sosie de Borat en lunettes de soleil et string moulant

L’Acte III contraste avec l’agitation précédente, présentant simplement le lit placé à l’intérieur d’un cube transparent aux arêtes de néons blancs. La Comtesse reste à l’intérieur et contemple avec tristesse le bonheur extérieur : Figaro qui retrouve ses parents et son mariage en vue avec Susanna, ainsi que celui entre Marcellina et Bartolo. Des néons lumineux sont ensuite poussés sur le sol, formant If you love me you can have anything, comme Barbarina rappelle, en anglais, la phrase prononcée par le Comte lors d’un précédent tête-à-tête. On tricote enfin beaucoup pendant l’acte final, d’abord Barbarina assise au sommet du cube pour chanter L’ho perduta, puis un ouvrage collectif de plus grande ampleur réalisé dans le cube, comme un arbre très coloré qui se gonfle et déploie ses branches tout au long de cette scène nocturne. La connotation sexuelle reste présente, dans les formes et la symbolique de l’objet qui se dresse vers les cintres à partir du lit, tout comme sur les habits de laine ornés de jolis seins et pénis tricotés.

C’est la partie féminine de la distribution qui séduit le plus l’oreille. À commencer par Julie Fuchs en Susanna (venant d’ailleurs saluer en dernier au rideau final, grillant ainsi la politesse au rôle-titre). Le timbre est splendide et d’une rondeur délicieuse, les récitatifs sont dynamiques et bien en ligne avec l’énergie dégagée par l’actrice. La Comtesse de Jacquelyn Wagner développe un phrasé particulièrement élégant et tente de conserver toute sa noblesse malgré les épreuves ; c’est en particulier ce sentiment de souffrance qui passe au cours du deuxième air, Dove sono. Lea Desandre compose un Cherubino parfaitement crédible visuellement et d’une remarquable musicalité. Le premier air, Non so più cosa son, cosa faccio, est pris à vitesse lente, et le mezzo souligne des aspects plus sensuels et délicats que l’habituel caractère haletant de ce passage. Monica Bacelli présente un vibrato en adéquation au personnage de l’aînée Marcellina ; son air Il capro e la capretta souffre toutefois de traits d’agilité un peu difficiles, tandis qu’Elisabeth Boudreault fait entendre une charmante Barbarina, un timbre fruité et juste.

Andrè Schuen chante Figaro avec aisance et une appréciable projection, alors que Gyula Orendt interprète un Comte de belle couleur mais pas particulièrement cynique ni méchant, quelques excursions dans le registre aigu révélant par ailleurs de légères faiblesses. Loin du barbon habituel, le Bartolo de Maurizio Muraro est une basse à l’instrument stable, d’un bon abattage dans le chant sillabato. Enfin, sans oublier Leonardo Galeazzi (Antonio), le ténor Emiliano Gonzalez Toro (Basilio, Curzio) caractérise au mieux ses personnages comiques ; il faut noter qu’il chante l’air In quel’anni, in cui val poco du quatrième acte, le plus souvent coupé à la scène.

Le Balthasar Neumann Ensemble et le chef Thomas Hengelbrock servent idéalement le compositeur. C’est aussi l’occasion de rappeler la chance de pouvoir entendre une partition mozartienne dans la cour de l’Archevêché à l’acoustique généreuse, plutôt sèche et, avec les musiciens en fosse ce soir, de couleur résolument baroque. Si l’Ouverture est enlevée, certains choix de tempi se révèlent par la suite originaux et pertinents. Il en va aussi de plusieurs ralentissements et petites pauses, ceci toujours au service du jeu et en corrélation dramatique attentive. Le Chœur du CNRR de Marseille apporte également ses contributions épisodiques tout au long de la soirée, le spectacle recueillant un succès auprès du public, sans aucune protestation.

IF