Chroniques

par isabelle stibbe

Die Zauberflöte | La flûte enchantée
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart

Théâtre du Châtelet, Paris
- 1er octobre 2009
Marie-Noëlle Robert photographie Die Zauberflöte au Châtelet (Paris)
© marie-noëlle robert

Jusqu’où les classiques se laissent adapter ? Cette question n’est pas le dernier sujet de français du baccalauréat, mais l’interrogation lancinante devant la reprise de cette Flûte enchantée mise en scène par Jean-Paul Scarpitta. Comme à Montpellier en 2007, ce dernier supprime en effet les dialogues allemands originels qu’il remplace, avec l’aide de Clémence Boulouque, par des récits de son cru, en français, dits par deux comédiens. La plume de Schikaneder était-elle si médiocre ou si datée qu’il fallût la rajeunir ? On connaît la réponse de Brecht à propos des classiques : « On peut les adapter à condition d’en être capable ». Scarpitta le serait-il ? Le résultat en fait douter.

Sans même s’attarder sur la faible qualité littéraire de ses ajouts, c’est leur utilité qu’on conteste. D’une part, le passage au discours indirect au lieu du discours direct (par exemple : « Les trois Dames mettent un cadenas sur la bouche de Papageno » en place de « Je te ferme la bouche avec ce cadenas d’or ») abolissent les dialogues, pourtant élément essentiel du texte théâtral, et simplifient le propos. D’autre part, ils frustrent (pour ne pas dire insultent) les artistes qui en sont réduits à chanter leurs airs comme s’ils ne pouvaient pas aussi les jouer. Les voilà donc chacun ainsi qu’au récital dans un CD digest, au lieu de pouvoir prendre le temps d’installer la psychologie des personnages grâce aux dialogues. Il en résulte une série de vignettes reliées entre elles par les interventions des récitants. Le jeu des deux comédiens (Bartholomew Boutellis et Benjamin Tholozan) n’est pas ici en cause : s’ils se font huer à la fin du spectacle, ce n’est pas contre leur prestation mais pour le principe. A-t-on voulu rendre le livret plus facilement accessible au public ? Dans ce cas, autant aller jusqu’au bout en chantant en français, comme on le faisait au début du XXe siècle.

On pourra aussi reprocher à Scarpitta d’avoir privilégié le spectaculaire et l’onirique sur le philosophique et le maçonnique, cette dernière dimension étant complètement évacuée. L’aspect philosophique réduite à la portion congrue, cette Flûte relève davantage de Blanche-Neige que de Zadig. Si on aime les jolis livres d’images, on appréciera quelques réussites comme l’immense lion en bois articulé, actionné par un marionnettiste niché dans ses pattes [photo], ou encore les trois enfants habillés et perruqués comme devait l’être le petit Mozart – et si Zauberflöte était un rêve du petit Wolfgang ?

On l’aura compris, le meilleur atout de cette production n’est certes pas la mise en scène. C’est le plateau vocal qui crée l’émotion, en la personne de Sandrine Piau (Pamina). L’artiste lyrique de l’année des Victoires de la musique 2009 n’a pas usurpé son titre : elle se démarque haut la main des autres chanteurs. La voix s’est épanouie, elle a gagné en rondeur et en liberté, livrant un plaisir de chanter évident et communicatif. Son duo avec Papageno l’annonce, le Ach, ich fühl’s le confirme : techniquement parfait (piani et sons filés impressionnants), artistiquement réussi.

Les autres chanteurs sont honorables, mais loin d’accéder à ce niveau : la voix de Frédéric Antoun (Tamino) est fraîche, mais petite, Uran Urtnasan Cozzoli (Reine de la nuit) atteint les suraigus sans problèmes d’intonation (ce qui est rare à ces hauteurs), mais savonne son articulation ; son interprétation est monolithique. Quant à Petri Lindross (Sarastro), il manque d’autorité et Detlef Roth (Papageno) de charisme.

Côté fosse, on apprécie les tempi choisis par Lawrence Foster, mais on regrette le trop peu de dynamique de l’Orchestre National de Montpellier. Espérons que La Flûte enchantée sud-africaine, programmée la semaine prochaine ici même, convaincra davantage.

IS