Chroniques

par christian colombeau

Mireille
opéra de Charles Gounod

Opéra de Toulon
- 15 mai 2007
Mireille, opéra de Charles Gounod
© dr

On ne s'est guère soucié de relever dans la Mireille de Gounod tout ce qui annonce Carmen et L'Arlésienne d'un certain Bizet. Cette musique méditerranéenne, c'est bien Gounod qui en trouva le secret en 1863, lorsqu'il est venu s'installer à Saint-Rémy-de-Provence, sur l'invitation du poète Frédéric Mistral dont, bien avant qu'en naisse un projet d'opéra, le musicien avait déjà lu la Mirèio. Avec une assurance d'académicien, mais sans une once d'académisme, Charles Gounod a trouvé pour le poème du célèbre félibrige, avec tout simplement du métier, la solution juste aux situations dramatiques les plus outrées.

Voyez un peu : la fille d'un riche éleveur aime un pauvre vannier. Une gitane, sorcière à ses heures, ne leur prédit rien de bon. Débarquent alors un gardien/gardian/bouvier rival borné, bestial qui, avec le père de la fiancée, vrai patriarche archaïque, vont nous embarquer dans un vaudeville avé l'assent. Un peu d'Ancien Testament, un peu de Géorgiques et l'Acte III nous transporte chez Weber (Der Freischütz) avec fantômes, folles d'amour, la Mort en croisière sur son frêle esquif tel Chiron, et un assassin assassiné/noyé dans les eaux bouillonnantes du Rhône. Ce n'est pas fini ! Telle une croisée moderne, notre bourgeoise arlésienne, fidèle à sa parole de jouvencelle naissante à l'amour, va traverser le désert brûlant de la Crau pour un chemin de croix en bonne et due forme qui la portera des bras de son amoureux soudain ressuscité jusqu'à l'apothéose d'un ultime contre-ut et des portes du Paradis. Voix céleste pour une insolation haut de gamme !

Heureusement, la musique coule, sans être facile, sûre de ses effets, savoureuse, chaleureuse, jamais boursouflée, inventive, bref : moderne, car voilà le type même d'une œuvre qui tient son charme, sa fraîcheur, sa vérité, son authenticité, son essence même de la Provence. Et cela, Alain Guingal l'a bien compris. Habitué de la partition (depuis ses débuts avignonnais en mai 1980), il en tire tous les parfums par une lecture pleine de finesse et de sensibilité.

L'abondance d'hier (Boué, Micheau, Vivalda, Brumaire, pour ne citer que les plus grandes) s'est aujourd'hui transformée en triste pénurie et, depuis qu'Andréa Guiot ne chante plus le rôle – 1974 à Strasbourg, trente ans déjà ! –, personne n'a pu réunir les atouts qui font les Mireille d'exception : une voix de grand soprano lyrique aussi à l'aise dans l'éclat que dans la demi-teinte, un timbre claironnant, irradiant de soleil, d'inépuisables ressources de souffle et, par-dessus tout, une maîtrise stylistique absolue. Ces qualités ne sont que partiellement celles d'Ermonela Jaho. Un joli minois, une taille de guêpe, une conviction de tous les instants, certes, mais – hélas ! – un confortable à-peu-près, un timbre court, évanescent, sans projection, avec par-ci, par-là un cotonneux charabia ; bref, une voix discrète, à l'image des jolis décors et costumes pastels de Poppi Ranchetti dont se dégage une vraie odeur de ciel bleu et de lavande (la production vient de Nice et du maître des lieux). À son actif, un joli Si dans l'air de la Crau et un Ut final vaillamment négocié. La question reste posée : Mireille se réduit-elle à deux notes intelligemment amenées ? Fatigue passagère pour cette artiste ? On l'espère, car à la lecture de ses engagements futurs, l'on tremble un peu pour elle en quittant la salle.

En outre, le soprano albanais forme un couple particulièrement juvénile et attachant avec Florian Laconi, Vincent très bien croqué scéniquement, sincère, mais vocalement lui aussi non exempt de nombreux péchés vocaux. Il délivre du plus mauvais Mascagni d'un bout à l'autre de la soirée. Anne Pareuil (Taven) chante en contralto pas toujours dans la portée un rôle de mezzo qui n'en demande pas tant. Christian Tréguier ténorise à qui mieux mieux en père basse-noble, avec des attitudes que l'on croyait bannies, mêmes dans un théâtre de sous-préfecture. Seul rayon de soleil de cette distribution qui donne une bien piètre image et idée du chant français actuel : l'Ourrias impeccable, sans faute de goût, athlétique (mais en fait pitoyable dans sa véhémente démesure) de Marc Barrard.

CC