Chroniques

par gérard corneloup

L’Italiana in Algeri | L’Italienne à Alger
dramma giocoso de Gioacchino Rossini

Opéra Grand Avignon
- 4 février 2014
L’Italiana in Algeri (Rossini) à l'affiche de l'Opéra d'Avignon
© cédric delestrade

« Première audition à Avignon » annonce d’emblée le programme. Et il ne s’agit pas d’un opéra du siècle présent ou du siècle dernier, mais d’un ouvrage affichant deux cents ans d’âge et illustrant à merveille l’art éblouissant de l’un des pères du belcanto : il signor Gioacchino Antonio Rossini – une partition majeure dans l’abondante production du prolifique compositeur, à une période charnière de sa carrière. Les premiers ouvrages lyriques du jeune Italien, tels La scala di seta, Il signor Bruschino [lire notre critique du DVD] ou encore L’occasione fa il ladro n’étaient que de vivaces petites pièces légères en un seul acte. Avec le sérieux Tancredi, il franchissait un stade vers un répertoire plus ample. Avec L’Italiana in Algeri, il le concrétisait avec brio, sur un livret d’Angelo Anelli dans le genre comique, via une commande du Teatro San Benedetto de Venise qui le créa en mai 1813.

Il convient cependant de reconnaître que cette pièce alertement troussée, cette partition brillante et enlevée, ne connut jamais les honneurs avec autant de fréquence et de superbe que ses « condisciples » Cenerentola ou Il barbiere di Siviglia. La trame est pourtant bien dans le goût d’une Europe encore toute imprégnée du Siècle des Lumières pour laquelle les territoires lointains, de surcroit non chrétiens, Turquie et Maghreb en particulier, sont regardés avec curiosité, un rien de condescendance et une pointe d’angoisse. Avant qu’un Turc vienne en Italie, lui aussi conduit par Rossini, c’est une Italienne qui arrive en Algérie pour se débrouiller, charme au visage, ruse au cerveau, à rendre la liberté à son amant, Lindoro, capturé par les infidèles et fait esclave de Mustafa, nabab du lieu, lui-même infligé d’une épouse, Elvira, qu’il juge importune et dont il veut se séparer. On imagine l’imbroglio qui s’installe, alimenté par divers comparses.

On ne peut qu’admirer la maestria avec laquelle le compositeur mène la danse, alliant airs, duos empanachés et aria alanguies, exigeant beaucoup de ses interprètes. Reste aussi à visualiser, deux siècles plus tard, cette Algérie d’avant la conquête française où l’homme affiche son pouvoir et ses muscles et où la femme est volontiers voilée. Le metteur en scène Nicola Berloffa [lire notre chronique du 3 octobre 2008], également auteur de costumes très en situation, se tire particulièrement bien d’affaire. Il procède par touches plutôt qu’en imposant un climat obsessionnel et oppressant, et joue particulièrement bien avec les masses chorales, ici masculines, tour à tours ironiques et battantes. Encore fait-il intervenir voilées les inévitables servantes, et même affublées de lunettes noires, mais sans excès. Il est dommage que les décors de Rifail Ajdarpasic, d’une triste banalité et de tristounettes couleurs tout comme les éclairages sans relief de Gianluca Antolini, n’ajoutent rien et enlèvent de la force à ce brillant travail scénique.

Musicalement, l’ouvrage demande un chef rompu à ce répertoire et une distribution acquise à cette forme de chant associant aisance, habileté et volubilité, avec un art du duo buffa propre au genre, tel l’éblouissante scène Se inclinassi a prender moglie entre Mustafa et Lindoro. L’Isabella de Silvia Tro Santafe, à l’émission étincelante, l’Elvira piquante de Clémence Tilquin, le Taddeo (un autre amant passager de notre Italienne) d’Armando Noguera, d’une émission vocale sans faille, enfin le Mustafa encore solide de Donato Di Stefano, possèdent tous les critères requis, bien entourés par la fraîche servante Zulma d’Amaya Domínguez et le convainquant Haly de Giulio Mastrototaro. En revanche, on reste un peu sur sa faim avec le Lindoro du tout jeune ténor Julien Dran : le medium est souple, expressif, mais l’aigu est dur, un peu brut de décoffrage, dénué de grâce. À l’inverse, les chœurs maison sont un régal d’homogénéité vocale autant que scénique et la direction à la fois brillante, colorée et enlevée du chef Roberto Rizzi Brignoli [lire notre chronique du 15 novembre 2013], fort bien servie par l’habile continuo de Mathieu Pordoy, est un atout de choix pour ce savoureux spectacle.

GC