Chroniques

par françois cavaillès

Le nozze di Figaro | Les noces de Figaro
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart

Opéra des Nations / Grand Théâtre (saison hors les murs), Genève
- 13 septembre 2017
Tobias Richter met en scène Le nozze di Figaro (Mozart) à Genève
© gtg | magali dougados

Figaro-ci, Figaro-là ! La série d'opéras explorant le personnage vif et drôle de Beaumarchais, coproduite par le Grand Théâtre de Genève et le Welsh National Opera qui la donnait en anglais, l'an dernier, à Cardiff, se poursuit dans l'ordre chronologique des œuvres théâtrales inspiratrices. Dans un décor de Ralph Koltaï semblable à celui d’hier pour Il barbiere di Siviglia, soit la sobre articulation de quelques grands panneaux pivotants [lire notre chronique de la veille], Le nozze di Figaro prend place. Si l'Orchestre de la Suisse Romande, cette fois sous la direction de Marko Letonja [lire notre entretien], répond à nouveau présent à sa très bonne manière, notamment par une remarquable beauté des cuivres dans l'Ouverture chaloupée, les premiers échanges auprès de Figaro et Susanna laissent d'abord froid et distant. Ce sont pourtant les prémices du tourbillon des épousailles et de la magistrale démonstration du duo Mozart / da Ponte. Le soin apporté aux personnages est le plus appréciable dans les costumes, mieux fournis et plus clinquants qu'au premier volet de la trilogie, dans une intéressante intention de continuation logique, sociale et naturelle.

L'entrée des seconds rôles Marcellina et Bartolo, plus colorés au sens comique et visuel, annonce la véritable entame du plaisir de ces Noces, opéra historiquement des plus populaires à travers l'Europe depuis 1786 – créé à Vienne en février, il suscite l'engouement à partir des représentations pragoises de décembre. Le tonus et le juste accent de l'opera buffa se découvrent grâce à Monica Bacelli [lire nos chroniques du 12 avril 2015 et du 15 février 2016], audacieuse Marcellina à la coiffe digne du comte Dracula. Pour son malicieux air du dernier acte, Il capro e la capretta, le mezzo-soprano italien, d'une voix comme ailée, régale de vocalises et de présence truculente, chantant par-delà la fosse, tout près du public ravi tout en se délectant d'une coupe de champagne tout spécialement servie par le chef d'orchestre. Le spectacle s'interrompt au service de la cantatrice… à moins qu'elle n'en soit alors le réel et fantastique moteur ? La mollesse et la retenue dominent les quelques scènes suivantes, à une exception : quand survient le Basilio du ténor Brian Rankin, au récitatif ferme et intense.

En général le chant en demi-teinte continue et la comédie, si admirable, attend encore. S'est-on rendu à quelque mariage gallo-genevois entre carpe et lapin ?... Le Chœur du Grand Théâtre apporte vigueur et finesse en fin de premier acte, de même que l'admirateur de Mozart (en chacun de nous) est ensuite rassuré par la rondeur et la chaleur d’émission du soprano Nicole Cabell, en Comtesse [lire notre critique du DVD I Capuleti e i Montecchi]. Encore revient-il au jeune mezzo Avery Amereau d'offrir satisfaction optimale, dans l'air Voi che sapete de Chérubin. Le point culminant de la soirée lyrique est atteint (et justement ovationné). D'une voix si gracieuse, accompagnée par une ferveur orchestrale et publique presque religieuse, c'est donc une clairière, un sûr rayon de gloire sur ce si charmant opéra plutôt brutalisé jusqu’alors.

Vient l'heure des réjouissances – pour qui sait attendre ? En l'occurrence, juste après l'entracte (hasard ?...). Comment arrive l'inspiration ou la libération des esprits, d'énergies positives, c’est un mystère. Peut-être comme la scène et la lumière se renouvellent, ici par le passage à une palette plus vive – rouge, gris électrique et noir. Et la complémentarité des voix se fait jour, par exemple entre la suave Susanna du soprano Regula Mühlemann [lire nos chroniques sur sa Papagena de Mozart et de Winter] et le Comte viril de la basse Ildebrando D'Arcangelo, habillé en matador. Quant à elle, la Comtesse brille de mille feux, dans une robe à baleines et pierreries, et se montre souveraine à l'envoi de son second grand air, Dove sono.

À partir de la scène du procès, le rythme théâtral, le lyrisme et l'émotion gagnent définitivement en profondeur – et nouveau plaisir vocal, aussi, avec la radieuse Barbarina incarnée par le soprano Melody Louledjian, au timbre délicieux. Ainsi apparaît au dernier acte le sens du retour à l’art mise en scène du directeur général du Grand Théâtre [lire notre chronique du 27 septembre 2006] : Tobias Richter signe un très bon travail d'admirateur des Noces de Figaro. Le geste créatif est fort dans les jardins du château, pour parvenir au dénouement du jeu de séductions. Simple en apparence, l'ordonnance des chanteurs a quelque chose de divin pour le spectateur, à suivre leur va-et-vient, et ces parades nuptiales où la musique, encore plus que le drame, confond, transporte.

La formidable activité de Beaumarchais transparaît également, même si Figaro, son possible avatar, est factotum assagi. Ce soir, le rôle-titre, bien tenu avec fougue par le baryton Guido Loconsolo, porte plutôt la marque des jeunes héros conçus par Lorenzo da Ponte et le compositeur à la suite de ces Noces, êtres rêveurs, amoureux et en proie aux doutes.

FC