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Chroniques
Vincenzo Bellini
I Capuleti e i Montecchi | Capulet et Montaigu
Publiée en 1597, Romeo and Juliet appartient aux premières tragédies de William Shakespeare (1564-1616), dont les dates d’écriture et de création restent vagues. En revanche, on la sait corrigée dans des éditions suivantes et inspirée par deux œuvres, l’une en vers et l’autre en prose, d’Arthur Brooke (1562) et William Painter (1582). Elles-mêmes sont inventées à partir d’intrigues plus anciennes signées Masuccio Salernitano (1467), Luigi da Porto (1530) et Mathieu Bandello (1554). Quant au nom des familles rivales – qui s’inscrit dans le conflit entre guelfes et gibelins (1125-1300), factions qui soutiennent respectivement la papauté et le Saint-Empire germanique –, on croise déjà Capulet et Montaigu dans la célèbre Commedia de Dante (1265-1321).
Entre le Singspiel de Georg Benda (1776) et l’opéra de Charles Gounod (1867), Vincenzo Bellini (1801-1835) fait lui aussi revivre l’amour des amants véronais sur la scène lyrique, avec I Capuleti e i Montecchi, créé à La Fenice (Venise) le 11 mars 1830. Pour ces deux actes écrits entre les créations de Zaira (1829) et de La sonnambula (1831), le natif de Catane revient à un livret de Felice Romani, déjà utilisé par Nicola Vaccai cinq ans plus tôt pour le Teatro alla Canobbiana (Milan). À titre anecdotique, rappelons que l’ultime ouvrage de Bellini, I puritani (1835) mettrait en avant une autre guerre civile, celle des calvinistes et des anglicans [lire notre critique du DVD].
« Est-il possible que même le plus grand amour et la culture la plus raffinée soient terriblement endommagées s’ils sont combinés à la cruauté et à la folie de personnes assoiffées de vengeance ? ». Vincent Boussard connaît la réponse à sa propre question puisqu’il dépeint sans mièvrerie les douleurs de nos adolescents : piégés dans un monde en guerre, Roméo souffre d’une conception de l’amour qui s’accommode mal de la patience tandis que devoir et honneur entravent Juliette. Joyce DiDonato le confirme dans un entretien-bonus en anglais : « il n’y a jamais d’embrassade, jamais de tendresse entre eux car ce n’est pas l’histoire qu’ils vivent ».
Filmés au San Francisco Opera en octobre 2012, dans de magnifiques costumes de Christian Lacroix qui tranchent avec le décor épuré de Vincent Lemaire, cinq solistes incarnent les protagonistes essentiels. Habitué aux rôles travestis [lire notre chronique du 11 novembre 2007], DiDonato séduit par sa ligne de chant nuancée, un grand souffle qui connaît la nuance. Elle est simplement émouvante, tout comme Nicole Cabell (Giulietta), avec son soprano charnu, d’une agilité sans esbroufe. Saimur Pirgu (Tebaldo) est parfois un peu vif, Eric Owens (Capellio) sans défaut, tandis qu’Ao Li (Lorenzo) allie ampleur et stabilité.
Si, par la pyrotechnie vocale, Rossini renouvelle dans le romantisme naissant le bel canto qu’il emprunte à l’opéra baroque, pour sa part Bellini défend une limpidité que d’aucuns prirent pour une carence. Il faut donc un chef sur la réserve pour rendre justice à sa musique, ce que réussit parfaitement Riccardo Frizza, souplement alerte et soucieux de rondeur – déjà salué dans un Tancredi florentin donné en 2005 [lire notre critique du DVD].
LB