Chroniques

par irma foletti

La tempesta | La tempête
opéra de Fromental Halévy

Wexford Opera Festival / National Opera House
- 29 octobre 2022
La tempesta, opéra d'Halévy donné au Wexford Opera Festival 2022
© clive barda

Après L’éclair récemment donné à Genève [lire notre chronique du 18 septembre 2022], voici La tempesta du même Fromental Halévy – en rapport avec la météorologie irlandaise parfois capricieuse. Si La Juive connaît de temps à autre les faveurs des théâtres [lire nos chroniques des production de Vienne, Lyon, Anvers et Genève], bien d’autres ouvrages restent à découvrir [lire, par exemple, nos chroniques de Clari et de La reine de Chypre]. Il est étonnant de constater que le Wexford Festival Opera, aujourd’hui en sa soixante-et-onzième édition, mette pour la première fois à l’affiche un opéra de ce compositeur.

En coproduction avec le Teatro Coccia de Novara (Piémont), la mise en scène de Roberto Catalano [lire notre chronique de Pigmalione] s’écarte nettement de l’illustration visuelle du livret d’Eugène Scribe établi d’après la pièce de Shakespeare (The Tempest, ca. 1611), puis adapté en italien par Pietro Giannone pour la création à Londres (Her Majesty’s Theatre, 1850). Dès le Prologue, des hommes sont allongés dans des lits, comme dans un dortoir, et d’autres les recouvrent de bâches. Très en voix et bien coordonnés, les artistes du Chorus of Wexford Festival Opera s’agitent en même temps que la musique passe d’un gentil frétillement à une ambiance plus tumultueuse pour évoquer la tempête provoquée par Ariele. En forme de prière pour épargner sa vie, ce chœur masculin est somptueux et trouverait tout à fait sa place dans plusieurs opéras de Verdi.

Le premier acte s’ouvre sur une vaste place bordée au fond d’une haute façade blanche avec un trou béant au milieu. L’inscription NOSTALGIA au fronton du mur, la présence d’une bétonnière et les allers et venues de berceaux, l’un blanc rempli de livres et l’autre noir de briques, incitent à lire les notes d’intention du metteur en scène, dans la brochure de salle. Il y est expliqué que l’île où sont exilés les personnages est devenue le chantier de la nostalgie de Prospero, où il pourra guérir de son passé douloureux... soit, même s’il n’est pas interdit de rester dubitatif ! Les décors parfois monumentaux – la géante tête masculine sculptée, entourée par un échafaudage – d’Emanuele Sinisi [lire nos chroniques de La Dori et de Tosca] ont, en tout cas, beaucoup d’allure, magnifiés par les lumières de D.M. Wood [lire notre chronique de la veille].

Jamais entendue de notre temps en l’absence d’enregistrement, la partition est une somptueuse découverte, bien plus proche du grand opéra françaisque de l’opéra-comique comme l’est L’éclair. À nouveau en fosse ce soir, les musiciens de l’Orchestra of Wexford Festival Opera semblent encore plus investis et concentrés que la veille, dirigés cette fois par Francesco Cilluffo, chef principal invité du festival depuis deux ans et qui a déjà dirigé ici plusieurs opus depuis 2017 [lire notre chronique de L’oracolo]. Les contrastes de nuances sont bien marqués, par exemple lors de certaines attaques franches des cordes, le chef apportant un souffle important à la musique tout en soignant l’exécution dans les moindres détails.

La distribution vocale est globalement de bonne tenue, à commencer par le Prospero de Nikolaï Zemlianskikh, baryton solidement timbré et autoritaire, à l’accent davantage slave qu’italien et qui semble forcer un peu dans l’aigu. Le rôle de sa fille Miranda est défendu par le soprano Hila Baggio qui a fort à faire avec des airs alternant les parties douces – comme celui d’entrée où le calme et la beauté de la nature du texte jurent quand même avec le chantier que présente le plateau – et de nombreux passages de haute virtuosité. Sa musicalité et son abattage lui permettent de passer sans écueils ces séquences fleuries.

C’est cependant la basse géorgienne Giorgi Manoshvili qui, en Calibano, fait la plus forte impression, avec un timbre sonore et profond allié à une souplesse vocale suffisante pour négocier les passages d’agilité, en particulier pour quelques morceaux qui relèvent davantage d’un répertoire bouffe au chant rapide. Le ténor Giulio Pelligra impose à la partie de Fernando une forte présence vocale en enchaînant cantilène et cabalette dans son air d’entrée ; l’instrument est de format lyrique avec certaines notes aiguës particulièrement tendues [lire nos chroniques d’Otello et des Vêpres siciliennes]. La partition d’Ariele confiée au soprano Jade Phoenix est également très relevée en difficultés, avec pour meilleur exemple l’air d’entrée, long et virtuose, chanté avec précision, bien que sans grande marge. D’autres voix complètent la représentation, comme le baryton Rory Musgrave à la projection réduite (Alonso), le ténor Richard Shaffrey (Antonio) ou encore le mezzo Emma Jüngling qu’on ne voit pas mais qu’on entend au travers des haut-parleurs descendus des cintres pour ses interventions (Sicorace).

IF