Chroniques

par gilles charlassier

Cenerentola | Cendrillon
fiaba musicale d’Ermanno Wolf-Ferrari

Opéra national du Rhin / Strasbourg
- 9 janvier 2016
une rareté signée Ermanno Wolf-Ferrari à l'Opéra national du Rhin
© alain kaiser

La programmation pour jeune public souffre souvent d'un déficit d'investissement, plus encore peut-être que les productions confiées à de jeunes solistes, créneau sur lequel les théâtres lyriques rivalisent désormais d'initiatives, parfois passablement gémellaires. À cet aune l'on ne peut que saluer les initiatives de l'Opéra national du Rhin, avec son Opéra Studio, dont la Cendrillon de Wolf-Ferrari (1876-1948), en création française et en langue vernaculaire, constitue un remarquable exemple.

Sans négliger la dimension de redécouverte d'un ouvrage oublié d'un compositeur qui ne l'est pas moins aujourd'hui, la mise en scène de Marie-Éve Signeyrole – à plus d'une reprise l’on put apprécier le travail, depuis l’Eugène Onéguine de Montpellier [lire notre chronique du 14 janvier 2014] – s'attache à transposer le conte des frères Grimm (lequel revisite celui de Perrault avec un soupçon supplémentaire d'âpreté) dans un Berlin encore divisé par le mur, séparation imaginaire entre le monde de l'héroïne éponyme et celui du prince. Si la conception altère la continuité d'une partition condensée en une heure au lieu des deux originelles, elle présente le mérite de proposer à un public qui ne l'a pas vécu des clefs pour appréhender un contexte historique aussi récent que symboliquement fort.

Sans pour autant résumer les ambitions de la présente proposition, la dimension pédagogique, avec le volet d'accompagnement que cela suppose, n'a vraisemblablement pas manqué sa cible : les costumes dessinés par Yashi Tabassomi renvoient à un univers vaguement gothique auquel plus d'un adolescent pourrait s'identifier, au diapason des panneaux mobiles irréductiblement noirs de Fabien Teigné sur lesquels se projette, par interposition vidéographique, le déchaînement des éléments (essentiellement la pluie) avec un palpable sens poétique que rehaussent les lumières de Philippe Berthomé.

On pourrait bien sûr éprouver quelque regret à entendre la musique passablement soumise à la scénographie. Pour autant, elle n'est pas condamnée à la servitude, et la collaboration active du chef, Vincent Monteil, en témoigne, dans l'adaptation du livret de Maria Pezzè-Pascolato en français qu'il a lui même réalisée. La réduction pour neuf instruments de Douglas Victor Brown, menée devant les pupitres de l'Ensemble orchestral de l'Académie supérieure de musique et du conservatoire, nullement mésestimables au demeurant, a déjà servi récemment à Berlin ; elle restitue, à s'y méprendre, le génie chambriste de l'écriture pour cordes, signe que modulation d'effectif ne vaut pas nécessairement trahison.

Quant aux solistes de l'Opéra Studio, on pourra déceler des talents prometteurs, à l'image de la touchante et agile Cendrillon de Francesca Sorteni, ou du prince de Diego Godoy-Gutiérrez, en instance de maturation, peut-être. Coline Dutilleul affirme une marâtre au caractère bien trempée, tandis que ses deux filles, Javotte et Anastasie, reviennent respectivement, sans errance de distribution, à Gaëlle Alix et Rocío Pérez – les trois cantatrices empruntent également le vêtement des sylphides. Mentionnons encore Emmanuel Franco (Fou et Journaliste), Nathanaël Tavernier (Ami d'enfance) et Jarosław Kitala (Ami de rallye du prince) [lire notre chronique du 30 avril 2015].

GC