Chroniques

par delphine roullier

Mignon
opéra d'Ambroise Thomas

Théâtre du Capitole, Toulouse
- 11 novembre 2005
Nicolas Joel met en scène Mignon d'Ambroise Thomasd au Capitole de Toulouse
© patrice nin

Créé il y a cinq ans au Capitole, le Mignon de ce soir est une reprise attendue du public toulousain. Composée en 1866 par Ambroise Thomas – à qui l'on doit Hamlet –, l'œuvre s'inspire de Wilhelm Meisters Lehrjahre, le roman d’apprentissage de Goethe qui dès 1796 imposait le bildungsroman comme nouveau modèle littéraire dont le romantisme allemand nourrirait sa production plus d'un siècle durant. Pour son opéra, Thomas en retient l'histoire de Mignon qu'il fait ici figure de proue, jeune esclave aux mains d'une troupe de bohémiens, ne connaissant ni père, ni mère, ni même son propre nom, et qui se souvient à peine du paysage de son enfance.

Dans cette aventure, la jeune fille en quête d'identité glane çà et là l'attention, l'éducation et l'expérience qui lui manquèrent. Si elle jette son dévolu sur son libérateur Wilhelm Meister qui, en lui achetant sa liberté, l'emprisonne en son amour, elle recueille également sur son chemin l'attention d’un vieux musicien auprès duquel trouver quelque protection. Avec ces deux figures masculines, Mignon rencontre l'épanouissement dans une révélation brutale au père qu'elle redécouvre et à l'amant qui la choisit : c'est en devenant femme qu'elle redevient fille. Ainsi, l'acte final, en terre natale, saisit son cœur dans une émotion en dernier soupir.

Cette histoire au symbolisme fort laisse sentir ce soir comme une retenue dans la mise en scène naturaliste de Nicolas Joel. Au lever du rideau, un décor mi-réaliste mi-naïf dessine un petit bourg traversé par un fleuve. Bien que la scène soit d'extérieur, elle semble tout entière encordée dans un tissu serré : autant de personnages en costume d'époque et d'architectures contractées qui ne laissent guère respirer l'ensemble. Gitans et comédiens font danser et chanter la foule et, sans doute pour jouer du contraste musical propre à la partition, ce haletant mouvement est scandé par des arrêts photographiques où se figent solistes et comédiens, le souffle coupé, dans une lumière directe. On est alors heureux de découvrir un boudoir à la perspective libre (deuxième acte), comme un soupir de libération visuelle qui ainsi fait entrer plus intimement dans de ce que les protagonistes invoquent. C'est dans cette grande et large pièce dépouillée où gisent une malle et une table, éclairée par une verrière et un feu de cheminée, que la comédienne Philine s'admire à son miroir, dans autant de reflets que de soupirants, et que Mignon se transforme, le temps d'une jalousie, en la séduisante femme qu'elle n'a jamais connue. Quant à lui, le troisième décor réalise, dans un espace restreint, une Arcadie autour d'un palais italien gardé par deux atlantes. C'est devant ce temple que les trois personnages vont trouver leur ordre.

En Mignon Sophie Koch affirme une belle et heureuse présence. Avec un chant engagé et sincère servi par un timbre chaleureux, elle est superbe, notamment dans l'Acte II où la pauvre enfant de Bohème, fragile, s'essaye à son devenir de femme, d'une voix émouvante. Dans sa quête identitaire, elle abrite avec sensibilité, profondeur et simplicité un personnage attachant. Dans le rôle de la comédienne Philine, sa rivale, le soprano Laura Claycomb, contraste par une couleur vocale acérée et une articulation sautillante, de ce ton féminin bien trempé. Quant à Yann Beuron, faisons remarquer la justesse et la douceur dont il use pour incarner un Wilhelm Meister à l'allure libre et joyeuse, jouant même à certains moments de l'ambiguïté de son rôle entre les deux femmes.

Au pupitre, Jean-Yves Ossonce distribue judicieusement les timbres du superbe prélude, offrant un fort beau moment ; sa conduite s'avère plus discrète par la suite, laissant aux chanteurs un espace d'expression avantageux.

DR