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Chroniques
épisode 7 – Orchestre des Pays de Savoie
Nicolas Chalvin joue Bernstein, Copland, Milhaud et Ravel
Convié dès le concert d’ouverture de ce Festival Berlioz 2014, l’Orchestre des Pays de Savoie retrouve la cour du Château Louis XI où servir un programme américain, sous la battue de son chef titulaire Nicolas Chalvin et en compagnie de deux solistes – voilà qui poursuit en parfaite cohérence l’illustration de la présente édition et s’inscrit assez idéalement en résonnance avec le récital d’Hervé Billaut [lire notre chronique du jour].
La soirée débute par Quiet City, une page d’une dizaine de minutes composée par Aaron Copland en 1940 pour la pièce éponyme du dramaturge Irwin Shaw (1913-1984), créée un an plus tôt à New York. À partir de l’original pour trompette, saxophone alto, clarinette, clarinette basse et piano, Copland conçut ensuite cette méditation pour trompette, cor anglais et cordes, créée sous la direction de Daniel Saidenberg en janvier 1941. Nous en goûtons une exécution soignée qui ne se départit jamais de l’énigmatique douceur initiale, dont séduit l’amble évident de Christian Léger à la trompette, dans un MP de grande délicatesse, et fascine le jeu de relais avec le cor anglais d’Hugues Lachaize. Le raffinement de la couleur instrumentale solistique convainc aisément, sur des cordes savoyardes au souffle altier.
C’est durant les années cinquante que Leonard Bernstein semble avoir été sinon le plus heureusement inspiré du moins le plus productif. Ainsi composa-t-il sa Serenade pour violon, harpe, percussion et cordes quelques mois après Trouble in Tahiti [lire notre critique du CD] et Wonderful town [lire notre critique du DVD]. Il l’articule selon Le banquet de Platon et la dédie à son maître Sergueï Koussevitski, disparu en juin 1951. Passons vite sur ce moment assez faible du concert, tant par l’œuvre présentée que par la piètre prestation solistique ici livrée. On tirera nettement plus de plaisir à écouter le fameux Bœuf sur le toit Op.58 de Darius Milhaud (1920) dont Nicolas Chalvin ne force pas le trait tout en entrant vaillamment dans sa fantaisie. Voilà qui avive le souvenir de la soirée brésilienne d’avant-hier [lire notre chronique du 26 août 2014] ! Saluons la fort gracieuse intervention de Camille Joutard, hautbois solo… et déplorons qu’un imbécile endimanché se croit malin à taper du talon comme un lapin en rut sur le gradin métallique – ô campagne, chère campagne !
Pour les cinquante ans de son Boston Symphony Orchestra, Koussevitski passait commande à trois musiciens ; Paul Hindemith livre Konzertmusik pour cuivres et cordes Op.50, Igor Stravinski sa Symphonie de psaumes dont Bruxelles aurait finalement la primeur, quand Paris aura celle du Concerto pour piano en sol majeur de Maurice Ravel (1932). L’excellent Roger Muraro en cisèle l’Allegramente dans l’opposition savante de fragmentations relativement sèches et d’une caressante opulence du son. Dans une dynamique raffinée, le phrasé est proprement somptueux ! Après ce véritable arrêt sur image du trait de harpe, le grand solo très orchestral oscille entre une percussivité impitoyablement efficace, quoique jamais brutale, et un dessin souverainement lyrique. Sans aléas de tempo, le pianiste distille l’Adagio médian avec une tendresse discrète qui absorbe l’écoute – grâce absolue de cet « étrangissime » objet musical dont le geste, rehaussé de traits de clarinette et de flûte impeccable, hésite entre valse et pavane. Le Presto conclusif s’orne d’une pédalisation choisie et d’un superbe travail de répons où Roger Muraro imite comme aucun les timbres qu’on vient d’entendre (flûte, basson, entre autre), en parfaite connivence. Simplement magistral !
Saluant le bel enthousiasme de l’auditoire, Nicolas Chalvin et l’Orchestre des Pays de Savoie offrent un Now I lay me down to weepde velours (Glenn Miller, 1935) élevé par Nathalie Geoffray-Canavesio (premier violon) dans un chant idéalement glamour. Une très belle soirée !
BB