Chroniques

par bertrand bolognesi

épisode 3 – Concerto Op.23 d’Edward MacDowell
Hervé Billaut, Orchestre national de Lyon, Joana Carneiro

Festival Berlioz / Château Louis XI, La Côte-Saint-André
- 23 août 2014
au Festival Berlioz, le Concerto Op.23 n°2 de MacDowell par Hervé Billaut
© delphine warin | festival berlioz

Après une saison durant laquelle notre équipe ne se lassa guère de saluer sa bonne santé, notamment dans le cadre du cycle qu’il consacrait à la compositrice finlandaise Kaija Saariaho [lire nos chroniques du 7 novembre, du 12 décembre 2013, du 20 mars, du 17 avril et du 19 juin 2014], nous retrouvons l’Orchestre national de Lyon au Festival Berlioz, confié aux bons soins d’une toute jeune cheffe portugaise. Après avoir commencé ses études de musique à Lisbonne, Joana Carneiro a perfectionné son art aux États-Unis, où d’ailleurs elle est directrice musicale du Berkeley Symphony depuis quatre ans. Ainsi cette dizaine de jours à La-Côte-Saint-André n’aura pas pour seules vertus de nous plonger dans l’univers berliozien tout en explorant des répertoires rares [lire notre chronique de la veille] : encore nous fait-elle découvrir de nouveaux musiciens.

Dès Prometheus, le cinquième poème symphonique de Ferenc Liszt (1854), Joana Carneiro surprend par une technique de direction bien à elle, à nulle autre pareille : elle convoque tout le corps pour insuffler une énergie généreuse à ses troupes, offrant aux premières mesures de l’Allegro introductif une violente fougue, sorte de sauvagerie tellurique qui sied parfaitement au mythe. Sa lecture impose ensuite un mystère plein de danger, qui gagnerait sans doute à reposer un peu plus sur le chant plutôt que sur la scansion rythmique, certes essentielle. De même les pizz’ de contrebasse envahissent-ils le motif lyrique des violoncelles. Saluons au passage l’excellence de la petite harmonie lyonnaise, dont chaque trait bénéficie d’un traitement de belle tenue (le cor solo, notamment). Pour conclure, la cheffe déchaîne les éléments, avec un enthousiasme contagieux.

Connaissez-vous Edward MacDowell ?... à dire la vérité, nous non plus. Il semble qu’il s’agisse d’un des tout premiers compositeurs nord-américains, en tout cas du grand et seul romantique étatsunien ; l’exécution du Concerto pour piano en ré mineur Op.23 n°2 révèle qu’il gagne à être plus connu. Né cinq mois après Mahler, il vient parfaire son approche de la composition en Allemagne, où avant ses vingt ans il rencontre Liszt (1879) auquel il dédiera son Concerto pour piano en la mineur Op.15 n°1, saluant ainsi l’aide que l’illustre virtuose lui offrit en reconnaissant son talent qu’activement il recommandât ici et là. De retour à Boston en 1888, MacDowell s’attelle deux ans plus tard à l’écriture d’un second concerto où s’entendent à la fois l’influence manifeste de la manière lisztienne et un certain air du temps à chercher vers l’Est : il est troublant de croire, à plusieurs reprises, reconnaître la musique de Rachmaninov (on s’y méprendrait…) dont le Concerto en fa # mineur Op.1 n°1 est strictement contemporain.

…en Amérique, précise le programme de cette édition 2014 du festival dauphinois : nous y voilà ! Joana Carneiro fait venir de loin les cordes profondes du Larghetto initial, dont s’épaissit progressivement l’impact, au fil d’un prélude quasi funèbre. Un piano échevelé surgit alors, sous les doigts toujours curieux d’Hervé Billaut – dont il faut noter qu’il joue cette œuvre plus que rare de mémoire, quand bien même il paraît assez évident qu’il ne la redonnera pas très prochainement. Idéal sera l’équilibre entre l’inspiration mélancolique de la partie soliste et des traits de clarinette et de basson parfaitement réalisés. Le Presto central affirme étonnamment une couleur presque française dont les interprètes soulignent la nature assez gracieuse. Nous retrouvons le ton noir des premiers pas dans l’introït Largo du dernier mouvement, bientôt contredit par un Molto allegro bondissant d’insouciance qui mène à un final brillant et concis. Prenez date dès à présent : mercredi 27 à 17h, Hervé Billaut ouvrira son récital par les six Fireside Tales Op.61 de MacDowell (1902).

« Z nového světa » : du Nouveau Monde ; ainsi Dvořák intitulait-il sa Symphonie en mi mineur Op.95 n°9 que le Hongrois Anton Seidl créa en décembre 1893 à la tête du New York Philharmonic au Carnegie Hall. Après un Adagio un rien sirupeux, Joana Carneiro engage l’Allegro plus fermement. Si bien sûr l’on apprécie le final rondement mené et l’exquise nuance du Scherzo, c’est avec un Largo « luxueusement recueilli », pour ainsi dire, que la musicienne conquiert définitivement notre écoute. À suivre…

BB