Chroniques

par bertrand bolognesi

épisode 6 – récital Hervé Billaut
œuvres de Castérède, Crumb, Gershwin et MacDowell

Festival Berlioz / Église, La Côte-Saint-André
- 27 août 2014
superbe récital nord-américian du pianiste Hervé Billaut au Festival Berlioz
© delphine warin | festival berlioz

Après son interprétation magistrale du Concerto pour piano et orchestre en ré mineur Op.23 n°2 d’Edward MacDowell [lire notre chronique du 23 août 2014], nous retrouvons avec grand plaisir Hervé Billaut dans un récital nord-américain, à l’heure du goûter. Et plutôt que d’enchaîner les quatre œuvres qu’il a inscrites à son programme, l’artiste prend la peine d’en présenter succinctement le contenu au public, avec autant de clarté que d’enthousiasme.

Ce moment privilégié est ouvert par Fireside tales Op.61 (Contes au coin du feu, 1902) du romantique étatsunien, six pièces brèves traversées d’ambiances diverses. Nous entendons d’abord une gentille romance sentimentale, à situer quelque part entre Schumann et Grieg, pour laquelle Billaut ménage une charmante onctuosité. Succède à cette Old love story le facétieux lapin d’Of Br’er Rabbit – selon le pianiste, il faut comprendre Frère Lapin (br’er pour brother), personnage bien connu des enfants anglo-saxons. Moins illustratif et plus poétique, From a german forest marie un choral central mendelssohnien à des couleurs nettement symbolistes, proche de Debussy. D’une autre étrangeté s’avère Of salamanders, sorte de molle virevolte inquiétante qui elle aussi fleure son Grieg. On cherchera dans les dernières pages du vieux Liszt la gravité introductive d’A haunted house, sans toutefois la même audace harmonique ni de comparable profondeur de ton ; en revanche, comme dans le concerto de samedi, les effets campanaires de Rachmaninov sont bien là. Plus anecdotique se révèle pour finir By smouldering embers, sorte de song « inoffensive », pour ainsi dire.

Après Des canyons aux étoiles [lire notre chronique du 24 août 2014], il ne semble certes pas incongru de jouer la musique d’aujourd’hui au Festival Berlioz. Avançons donc vers cet « univers galactique plutôt que religieux » (selon Hervé Billaut, toujours) de George Crumb, avec A little suite for Christmas, A.D. 1979 (1980). Avant de l’interpréter, le pianiste fait entendre quelques exemples des effets particuliers qu’elle convoque – harmoniques, pizz’, sons « matifiés », glissando harpistique, etc. –, faisant même sonner un choral du XVIe siècle, Coventry Carol, cité par le compositeur dans le sixième mouvement de cette suite. Un curieux oiseau lorgne vers Messiaen dans The Visitation, suivi du mystérieux chantonnement bouche fermée, quasiment incantatoire, de la tendre Berceuse for the Infant Jesus. Les bergers de The shepherd's Noël sont assurément dans les étoiles, avec ces différents jeux sur les cordes, proprement célestes ! Une scansion héritée d’Antheil domine Adoration of the Magi, quand des sonorités d’épinette, de luth, mais encore de Glaßharmonica magnifient la superbe Nativity Dance. Après l’apaisant Canticle of the Holy Nights, le musicien conclut par Carol of the bells qui, dans une aura presque asiatique soutenue de déflagrations sourdant des très-fonds (volcaniques ?...), reprend le chant d’oiseau des premiers pas.

Sans en surenchérir jamais le côté un brin « racoleur », Hervé Billaut livre une interprétation fièrement orchestrale de Rhapsody in blue de George Gershwin, ornant l’austère pierre de l’église de La-Côte-Saint-André de rythmes qu’on n’y aurait sans doute point attendus. Ce récital s’achève avec une œuvre de l’iconoclaste Jacques Castérède, disparu ce printemps.

BB