Chroniques

par bertrand bolognesi

Das Rheingold | L’or du Rhin
opéra de Richard Wagner

Grand Théâtre, Genève
- 9 mars 2013
Das Rheingold, opéra de Richard Wagner
© carole parodi | gtg

Ce soir s’inaugure le premier rendez-vous genevois avec les deux siècles de l’homme du grand renouveau théâtral. Ce bicentenaire, Tobias Richter, directeur général du Grand Théâtre, le fête avec une nouvelle Tétralogie qu’il confie à Dieter Dorn, un vétéran de la scène allemande, et au sémillant Ingo Metzmacher qui dirige l’Orchestre de la Suisse Romande.

Commencer un Ring en mars 2013 dut nécessairement poser de nombreux obstacles quant aux choix de distribution, toutes les voix wagnériennes se trouvant engagées de longue date de par le monde. Pourtant, la maison réussit à réunir une équipe équilibrée dont la prestation se tient, dans l’ensemble (le détail est moins heureux, nous y reviendrons). Ainsi des trois Filles du Rhin, clairement différenciées tout en offrant l’avantage d’une unité stylistique salutaire. Laura Nykänen (Flosshilde), Stephanie Lauricella (Wellgunde) et PolinaPasztircsák (Woglinde) introduisent honorablement ce Rheingold. Plus pâle, Maria Radner, pour s’avérer techniquement irréprochable, n’en possède pas pour autant l’aura d’Erda, comme en témoigne une apparition peu concluante. En revanche, Agneta Eichenholz campe une Freia de feu, remarquablement impactée, qui place l’écoute dans un sain confort. Des incarnations féminines, la plus attachantes est assurément celle d’Elena Zhidkova : récemment applaudie en Venus [lire notre chronique du 3 juin 2012] et plus encore en Kundry [lire notre chronique du 23 mars 2012], le mezzo-soprano russe livre une Fricka de haute tenue, plus humaine et nuancée qu’il est de coutume, à laquelle elle prête une présence scénique sensible et inventive.

Le cast masculin pose quelques soucis. Pour avancer bravement une registration indiscutable, Corby Welch « balance » un Loge relativement brutal qui doit tout son succès à un grand numéro de cabotinage plutôt qu’à un chant dignement conduit. Christoph Strehl donne un Froh flottant et terne. Quant aux géants, on retrouve le solide Titurel entendu deux ans plus tôt [lire notre chronique du 14 avril 2011], Steven Humes, dans un Fafner d’airain qui fait malaisément la paire avec un Alfred Reiter nettement moins en forme qu’à Francfort [lire notre chronique du 25 janvier 2013] : tout en infléchissant tendrement le phrasé amoureux, son Fasolt accuse un aigu parfois problématique. Enfin, le Wotan de Tom Fox masque difficilement ses fragilités vocales : vibrato intrusif, nuance détimbrée et intonation incertaine donnent à penser qu’il en faudra impérativement changer pour Die Walküre (novembre prochain).

Trois autres gosiers s’imposent sans faille, toutefois : Thomas Oliemans offre un Donner bien chantant au timbre riche, Andreas Conrad fait merveille en Mime, toujours parfaitement projeté, usant d’un impact de longue portée à couleur claire, tandis que le baryton suédois John Lundgren convoque l’évidence d’une émission généreuse, un bel éventail expressif et une ampleur de bon aloi dans la partie d’Alberich, luxueusement servie (la voix du Hollandais !).

Avec ses ondines en roller, un trésor rhénan en caisses échouées au fond du fleuve, le campement provisoire des divins dans l’attente du Walhalla et autres figurations souvent ingénieuses, la mise en scène de Dieter Dorn transite à grandes enjambées dans une littéralité à peine soulignée. Un effet de surprise dessine chaque nouvelle scène, trop rapidement suivi d’un abandon qui place la démarche dans une accumulation gaguesque plutôt que dans une pensée construite et menée. Il va sans dire que ce grand homme de théâtre ne façonne pas son Ring à la légère, mais on regrette une conception fort « classique » sous le vernis « branché » et une direction d’acteurs qui se concentre sur certains rôles en faisant de grossiers raccourcis pour d’autres. D’ici l’automne, il est probable que les choses décanteront vers une Walkyrie plus efficace.

La plus grande surprise demeure la lecture d’Ingo Metzmacher – une surprise qui n’est pas des meilleures. Voilà un chef que toujours nous suivons avec grand intérêt, un musicien qui fit ses preuves plus qu’à son tour et dans des répertoires divers – de Verdi [lire nos chroniques du 15 juin 2012 et du 21 mai 2006] à Rihm [lire notre chronique du 5 août 2010] en passant par les maîtres du XXe siècle, qu’il s’agisse de Strauss, Berg, Britten [lire notre chronique du 21 janvier 2010], Maderna [lire notre chronique du 21 avril 2004], Messiaen [lire notre critique du DVD] ou Zimmermann [lire notre chronique du 20 août 2012]. Que se passe-t-il ce soir ? Confus, voire déconstruit, oscillant entre heurts et fadeur, son Rheingold butte encore sur une fosse qui ne semble pas vraiment à jour avec la partition. Gageons que le prochain rendez-vous avec ce Ring sera le bon.

BB