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Chroniques
Olivier Messiaen
Saint François d’Assise
Abondamment jouée tout au long de l'opération Messiaen 2008 qui fêtait le centenaire de la naissance du compositeur, la musique de ce dernier fut investit par les divers décideurs du paysage musical (tant pour le concert qu'en ce qui concerne l'édition discographique), par les artistes et – c'est là le principal – par le public. Immanquablement, ce type de réjouissance offrit, à la fois pour des raisons simplement pratiques et pour des questions de goûts, de nombreuses redites tandis que certaines pages parurent devoir demeurer rares. Ainsi de La Transfiguration de notre Seigneur Jésus-Christ qui n'y fut donnée qu'une seule fois (21 septembre, Strasbourg) ; ainsi de Saint François d'Assise, l'opéra commandé en 1971 à Olivier Messiaen par Rolph Liebermann, en présence du Président Pompidou, que seule une exécution de concert honorait sur notre territoire (31 octobre, Paris). Ébauchée à partir de 1975, née au Palais Garnier à l'automne 1983, sous la baguette de Seiji Ozawa et dans une mise en scène de Sandro Sequi, cette vaste fresque lyrique et méditative, où devait s'illustrer durablement José van Dam, fera événement ces années-là. Depuis, l'approche en put être approfondie grâce à de nouvelles productions signées Peter Sellars (Salzbourg, puis Opéra Bastille), Giuseppe Frigeni (Bochum) et, malencontreusement, Stanislas Nordey (Bastille encore). Le 1er juin dernier, Amsterdam pouvait s'enorgueillir d'une première de taille, puisque Saint François d'Assise y occuperait la scène du Het Muziektheater pour neuf représentations d'une production exemplaire en tous points, au regard de la captation qu'en diffuse aujourd'hui Opus Arte.
Nous le disions plus haut : José van Dam a porté haut la partition de Messiaen, depuis la création qu'il en assumait il y a vingt-cinq ans jusqu'à ses apparitions plus récentes. En octobre dernier, à la salle Pleyel, peu probable parut la relève – nul n'étant éternel – en la personne de Vincent Le Texier dont la prestation laborieuse finit par ruiner le concert. Ici, la surprise est de taille : c'est le solide baryton américain Rodney Gilfry, jadis rôle-titre ô combien remarqué de Billy Budd (Britten), puis immense Don Giovanni à Zurich, mais encore créateur de Kowalski d'A Streetcar Named Deisre (Previn) – sans compter les Papageno (Zauberflöte), Iago (Otello), Posa (Don Carlo), Marcello (La Bohème), Pelléas (Pelléas et Mélisande) [lire notre critique du DVD capté à Zurich], Faust (Doktor Faust) ou, dans un répertoire plus léger, Danilo (Die Lustige Witwe) et Falke (Die Fledermaus), et les nombreuses créations américaines auxquelles il contribue volontiers – qui s'empare du rôle immense de François, avec une maestria qui n'a d'égal que l'investissement absolu caractérisant les interventions de cet artiste. Et l'on dira encore la riche couleur d'une voix aux généreux moyens dont il use avec un art sensible, nuançant délicatement cette musique dont indéniablement il a compris la teneur spirituelle (au-delà de son b.a.-ba) et qu'il sert d'une diction (et sans les grimaces de l'effort, s'il vous plait) à faire pâlir plus d'un gosier français. Son incarnation dépasse le danger de mièvrerie que le personnage renferme, prouvant d'une présence aux choses passées et à venir dans chacune de ses épreuves, celle de sa propre peur comprise, pour s'exprimer enfin dans la douceur et l'assurance légère d'un véritable maître à penser.
Ses partenaires ne sont pas en reste. Henk Neven est un Frère Léon précis au timbre clair, affirmant son J'ai peur dont la route mènera à la tendresse d'une compassion pleine. Le teint âpre de la voix de Donald Kaasch sert idéalement la partie grognonne de Frère Elie. Quoique fatiguée dans sa nature, celle d'Armand Arapian s'affirme soigneusement menée dans le rôle de Frère Bernard. L'on retrouve avec plaisir la vivacité de jeu et le chant élégant de Tom Randle en Frère Massée. Dans son costume jaune à taches noires, une feuille frappée de mildiou, le Lépreux de Hubert Delamboye convainc par sa vaillance et un impact vocal qui vient déranger l'ordre de toute façon inquiet des compagnons franciscains. Enfin, Camilla Tilling livre un Ange à la diction lui aussi irréprochable (malgré la difficulté que l'écriture du rôle oppose à cet aspect), à l'aigu lumineux.
Outre une distribution particulièrement efficace, ce Saint François-là bénéficie d'une fort pertinente conception scénique. Pierre Audi a placé sur scène le gigantesque orchestre de Messiaen, les moines évoluant à la périphérie de ses chants d'oiseaux, salves et joutes percussives dont ils semblent révéler de leur présence les ruptures et le silence. La direction d'acteur est celle d'un artiste exigeant qui connaît la rhétorique de la foi, et sa scénographie, avec la complicité d'Angelo Figus pour les costumes et de Jean Kalman pour les lumières, pose judicieusement la question de la réforme de l'Église (tout ordre est d'abord bénédictin, rappelons-le, et chacun s'embourgeoisant nécessite la création du prochain, nouveau et plus proche de la Règle initiale). Quant au passage ornithologique que l'on croit souvent digressif, le metteur en scène en fait une géniale leçon pour une ribambelle d'enfants peintres.
« Ton cœur t'accuse, mais Dieu est plus grand que ton cœur »
« La musique nous porte à Dieu, par défaut de vérité »
« Tu parles à Dieu en musique, Il va te répondre en musique »
« Seigneur, musique et poésie m'ont conduit vers toi »
La musique est dans la main experte d'Ingo Metzmacher, chef aguerri au répertoire contemporain. Il signe une lecture d'une formidable clarté, en un geste musical ample et souple qui trouve de la tendresse dans les incises les plus anguleuses. En adéquation avec la réalisation d'Audi, il profite de chaque pupitre de The Hague Orchestra auquel se sont associés les ondistes Nathalie Forget, Valérie Hartmann-Claverie et Bruno Perrault. Vous l'aurez compris : voilà un enregistrement indispensable à toute DVDthèque musicale digne de ce nom !
BB