Chroniques

par françois cavaillès

Concerto Op.30 n°3 de Rachmaninov par Lukáš Vondráček
Jurjen Hempel dirige l’Orchestre Symphonique de l’Opéra de Toulon

Opéra de Toulon
- 14 septembre 2019
Jurjen Hempel dirige l’Orchestre Symphonique de l’Opéra de Toulon
© k. bouffard | opéra de toulon

La saison de l’Opéra de Toulon s’ouvre sur une mer pour orchestre de chambre, étale, à peine agitée par un thème fluide, glissant sur un flot cuivré, avec le basson pour léger premier gouvernail. Il s’agit de l’œuvre de Thomas Adès, compositeur britannique né en 1971, encensé notamment pour ses opéras, d’inspiration parfois ancienne comme The Tempest d’après Shakespeare [lire notre chronique du 27 septembre 2004], et dernièrement découvert au cinéma avec Colette de Wash Westmoreland [lire nos chroniques de Powder her face, Asyla, The lover in winter, Darknesse visible, Arcadiana et Trois berceuses, ainsi que de l’ouvrage d’Hélène Cao].

À un train tout juste précipité, l’effet de ses Three studies from Couperin (2006) est fascinant, entraînant et cérébral. Arrangement d’une pièce de 1716 du grand claveciniste parisien, en quatre minutes seulement Les amusemens captive le public qui paraît engoué de la fraîcheur des cordes et de l’habileté de la battue de Jurjen Hempel prise, pour Les tours de passe-passe (deuxième arrangement d’une pièce de caractère de Couperin), dans un jeu de balancier entre les deux pôles d’instruments à cordes sans pour autant négliger bois et cuivres espiègles. Le ton enfantin de l’original est un peu perdu par la transposition parfois audacieuse, mais la beauté et le charme spécial des timbres font apprécier l’esprit d’aventure de l’Orchestre Symphonique de l’Opéra de Toulon. Enfin L’âme-en-peine, plus répétitif et marqué par la percussion, clôt le triptyque dans une ambiance lourde de chagrin.

Changement de plateau pour sortir un piano à queue vite déplié en couteau à cran d’arrêt par l’excellent Lukáš Vondráček qui délivre une fameuse mélodie magnétique, tendue tel un hamac molletonné de cors et éventé du souffle rauque des cordes, entre deux superbes palmiers de l’avenue Colbert. En effet, l’Opéra de Toulon semble vivre pour des moments comme en regorge le Concerto pour piano en ré mineur Op.30 n°3 de Sergueï Rachmaninov (1909). Admiratifs et émus, les auditeurs se régalent de l’impressionnant Allegro ma non troppo, complexe, noble et rempli de défis virtuoses que relève le jeune pianiste tchèque dans des accélérations ahurissantes. Sur les cimes d’une partition riche en fulgurances soudaines, l’interprète ménage aussi des moments de repos, comme dans l’oeil du cyclone. Vondráček laisse une impression très personnelle à l’Intermezzo. Le trait de mélancolie, d’humeur craintive et d’apparence fantomatique de cet Adagio fourgonne dans différentes idées musicales, éclairant de don lyrisme jusqu’à Poséidon et Amphitrite enlacés au plafond du théâtre. Du grand art que ce chef-d’œuvre conçu tout ou partie en boucle, revenant enfin à une mélodie lente et simple après le cataclysmique solo, aussi mesuré que fantastique, et la poursuite finale démente culminant au grandiose feu d’artifices instrumental. S’il connaît parfois l’ébullition (Finale), le piano selon Rachmaninov et par Vondráček joue dans un halo romantique. Avec beaucoup de tact et de soin dans la régularité, le bis souffle délicatement la chandelle avec un extrait des Kinderszenen Op.15 de Schumann (1838).

En seconde partie, plénitude de la flûte traversière, clarinette alanguie et direction musicale méticuleuse font tout le sel du Prélude à l’après-midi d’un faune de Claude Debussy (1894). L’amplitude des cordes et la couleur apportée par Laurence Monti, la violoniste super-soliste, permettent à l’églogue symphonique de grimper comme la vigne sur le fil de fer de nos pensées. Dès lors, à petits pas de bassons et de clarinettes peut advenir la vision lugubre de deux cœurs transis d’un amour maudit, avec Roméo et Juliette : finalisée en 1880, l’ouverture-fantaisie de Piotr Tchaïkovski parvient, à partir de son thème amoureux haletant à souhait, à faire avancer nerveusement, fiévreusement, jusqu’à la représentation du double suicide des idoles. Nul ne sait combien d’émotion et de sentiment aurait réserver l’opéra esquissé par Tchaïkovski sur ces bases en 1881. Mais au terme de l’été provençal, cette nouvelle heure lyrique du soir en dit assez bien le fond tragique.

FC