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Chroniques
Thomas Adès
Powder her face | Poudrer son visage
Commande de l'Opera Almeida pour le Cheltenham Music Festival, Powder her face marque l'entrée sur la scène lyrique de Thomas Adès, alors âgé de vingt-quatre ans. La création a lieu le 1er juillet 1995, presque une décennie avant que le public nantais et messin découvre une œuvre pleine de tension dans la lignée de Britten, avec son effectif réduit – quatre chanteurs et quinze musiciens –, et un sujet à connotation sexuelle. Le livret de Philip Hensher s'inspire, en effet, de la vie de Margaret d'Argyll (1912-1993), figure bien connue de la société britannique pour son divorce sulfureux avec son second mari, le onzième Duc d'Argyll. Car, si des romances de jeunesse (amateur de golf, playboy musulman, aviateur millionnaire, etc.) appartiennent au folklore de la petite fille riche, la bonne société s'arrange moins des escapades d'une épouse cinquantenaire, avec preuves photographiques à l'appui. Durant le procès circula une liste comportant le nom de quatre-vingt huit hommes qui auraient reçu les faveurs de la Duchesse, ainsi que les commentaires les plus acerbes de la Cour sur de « dégoûtantes pratiques sexuelles ». Par la suite, ruinée par un mode de vie extravagant et des placements inconsidérés, Margaret d'Argyll dut quitter sa demeure pour une suite d'hôtel (1978). Mais la note finissant par ne plus être payée, ses enfants la placèrent dans une maison médicalisée.
En 1999, pour Channel Four, Margaret Williams a filmé cette figure tragi-comique, dont la déchéance rappelle celle de Lulu. Huit scènes, abordées avec intelligence et humour, donnent tout son sens au terme opéra de chambre. Après un prélude mêlant Buenos Aires et la Nouvelle Orléans, c'est un gloussement bien anglais qui nous ramène à l'Hôtel Dorchester, à deux pas de Hyde Park. La Duchesse surprend les quolibets d'une soubrette et d'un électricien, départ d'une série de souvenirs vécus en flashback. En 1934, dans une maison de campagne à l'ambiance gentiment libertine, ses invités discutent de son récent divorce. En 1936, le Duc l'épouse. En 1953, un garçon d'étage assure à celle qui ne s'intéresse qu'à son bas-ventre qu'ils n'en sont pas à leur coup d'essai. La même année – lors d'un épisode clin d'œil à l'éducation anglaise –, la maîtresse du Duc avertit celui-ci de rumeurs concernant son épouse ; puis c'est le divorce de 1955, prononcé par un Juge fantomatique se repaissant de détails sordides. En 1970, la Duchesse donne sa première interview télévisée. Enfin, c'est l'éviction pathétique de 1990 – trop, peut-être, car on s'était pris d'affection pour cette femme prête à « affronter les conséquences de [ses] propres actes » ; nul besoin de la faire ramper.
À l'aise pour accompagner au piano ses solistes dans le cadre du festival Présences [lire notre chronique du 10 février 2007], Thomas Adès l'est aussi pour diriger un ensemble fourni – ici, The Birmingham Contemporary Music Group. Les chanteurs, dont trois se partagent plusieurs rôles, impressionnent diversement : le ténor Dan Norman paraît un peu léger et la basse Graeme Broadbent manquer de souplesse ; en revanche, le soprano dramatique Mary Plazas possède une belle pâte vocale de même que la colorature Heather Buck, expressive et vive, jouit d'une agilité idéale. Proposé sans sous-titres, cet enregistrement offre néanmoins le texte complet imprimé (se munir d'une bonne loupe !) et un documentaire mêlant images de ce premier opéra, interviews et travail d'exécution (Darkenesse Visible, Asyla, Concerto Conciso, etc).
LB