Chroniques

par laurent bergnach

Thomas Adès
pièces avec quatuor à cordes

1 CD Signum Records (2015)
SIGCD 413
Le Quatuor Calder joue Thomas Adès (né en 1971)

« Les œuvres transportent dans un autre monde possible mais conservent leurs secrets, affirme Thomas Adès (né en 1971). La musique doit être inouïe ; elle doit être inutile, si tant est qu’elle possède une utilité ». Outre deux ouvrages lyriques écrits à ce jour [lire notre critique des DVD Powder her face (1995) et The tempest (2004)], on sait le Londonien intéressé par la musique de chambre. Une édition du festival Présences, notamment, avait fait entendre quelques pages pour piano jouées par le compositeur en personne [lire notre chronique du 25 février 2007]. En solitaire ou accompagné d’un piano, le quatuor à cordes est à l’honneur du présent programme que le livre d’Hélène Cao, Thomas Adès le voyageur (Éditions M.F., 2007), nous aide à mieux cerner.

Pièce la plus ancienne, Arcadiana Op.12 (Cambridge, 1994) affectionne la miniature de caractère, comme tant d’autres d’Adès à ses débuts. Sept brefs mouvements la composent dont les titres poétiques évoquent chacun « une image associée à l’idée de l’idylle, en train de disparaître, déjà disparue, ou imaginaire ». À titre d’exemple, Et… (tango mortale) rappelle le célèbre tableau de Poussin et ses bergers découvrant les mots Et in Arcadia ego, tandis que le mouvement suivant, L’embarquement, ranime la Cythère de Watteau. Musicalement, l’allusion voire la citation concerne Ravel (I), Mozart (II), Schubert (III), Debussy (V) et Elgar (VI). Des touches délicates, cristallines ou bucoliques fondent un opus globalement serein.

Près de vingt ans plus tard, The four quarters Op.28 voit le jour (New York, 2011), enregistré ici pour la première fois (All Saints Church, Londres). Violoniste du Quatuor Emerson qui la fit découvrir au public du Carnegie Hall, Eugene Drucker insiste sur le défi de s’approprier une pièce si complexe de par son rythme et l’asymétrie de ses mesures – il souligne en particulier la sorte de yodle de l’ultime mouvement, alternance rapide de sons appuyés et d’harmoniques. Offrant une tension plus ou moins sous-jacente et récurrente, l’œuvre déçoit par la pauvreté de Serenade : Morning Dew mais réjouit par l’ampleur extatique de The Twenty-Fith Hour.

Enfin, écoutons le Quintette avec piano Op.20 (Melbourne, 2001) pour lequel Adès rejoint le Quatuor Calder – Benjamin Jacobson, Andrew Bulbrook (violons), Jonathan Moerschel (alto) et Eric Byers (violoncelle). Avec un mouvement unique, le compositeur affirme sa volonté de conquérir la grande forme, comme plus tard avec Concentric paths (2005), Tevot (2007) et Polaris (2011) pour orchestre, et de côtoyer la structure sonate (Liszt, Beethoven) plutôt qu’un style populaire (jazz, dance, etc.). Des trois sections de longueur décroissante, la première marque l’oreille par son cortège de réminiscences, déraillements et sarcasmes – vite bavard et nauséeux – ; la deuxième par une espièglerie qui frôle parfois la saturation, tandis que la dernière s’avère paisible et courtoise.

LB