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Chroniques
The Tempest | La tempête
opéra de Thomas Adès
Après l’opéra de chambre Powder her Face écrit pour le Festival de Cheltenham en 1995 (et reprit plus tard à Nantes), le compositeur britannique Thomas Adès (né en 1971) signait il y a quelques mois une Tempête d’après Shakespeare que Covent Garden a créée avec succès en février dernier. Bénéficiant d’une écriture raffinée qui prend largement appui sur une complexité rythmique et une savante délicatesse des alliages timbriques, cet opéra en trois actes semble aller de soi – aucune des questions qui aujourd’hui surgissent lors d’une création lyrique ne vient s’y poser : la fluidité de la partition véhicule l’intrigue avec évidence et efficacité. Si la facture globale paraît relativement classique, l’auditeur sera bien avisé de ne pas se fier à une première impression qui ne permet sans doute pas une approche subtile de l’œuvre. Rien de révolutionnaire dans The Tempest ; n’est-ce pas précisément ce qui étonne et capte l’attention ? Car, quelque soit l’orientation habituelle de ses goûts, ses affinités en matière d’esthétique musicale, le même auditeur se trouve littéralement happé par l’admiration constante d’un savoir-faire exceptionnel.
La mise en scène de Tom Cairns se garde de tout excès sans pour autant renoncer à un éventail d’effets que le sujet impose. Faisant preuve d’une maîtrise indéniable, cette réalisation (celle de la création londonienne) s’avère irréprochable. Un peu trop, peut-être ?... On pourra se réjouir d’une telle mesure, qui évite les pires travers, mais regretter qu’un si joli travail manque de la nécessaire inspiration qui l’eût rendu beau. Si les deux premiers actes sont assez statiques, le troisième dévoile d’autres qualités (la scène du festin est particulièrement réussie). Il demeure regrettable que les relations entre les personnages n’aient pas fait l’objet d’une construction plus approfondie. Telles quelles, elles fonctionnent, car leur représentation n’enfreint pas l’accumulation de la plupart des conventions de jeu. Etonnamment, c’est le chœur qui semble le plus vivant de l’action, grâce à une mise en place soignée, scéniquement autant que musicalement, Michel Capperon et Tom Cairns n’ayant rien laissé au hasard.
Quant au livret de Meredith Oakes, il s’en tient poliment à une épure qui ne retient que l’intrigue principale, ce qui judicieusement répond aux contingences du théâtre, dans leur acception traditionnelle, mais appauvrit d’autant ce que la pièce aurait pu donner à imaginer. Et s’il est passé de mode d’écrire des opéras de quatre ou cinq heures, pourquoi choisir précisément d’adapter une œuvre qui les demande peut-être ? On saluera la belle lumière de Wolfgang Göbbel, acteur du conte à part entière.
Différant quelque peu de celle de la création de cet hiver, la distribution réunie à Strasbourg se montre équilibrée et satisfaisante, le ténor Sean Ruane mis à part, chantant un Antonio-stentor mais systématiquement à côté de la note. Jason Howard offre à Prospero un timbre attachant, tandis que le ténor Christopher Lemmings est un Caliban extraordinaire qui prend son envol dans la Scène 2 de l’Acte II. Si le timbre n’est pas toujours flatteur, la voix, utilisée avec art, déploie une expressivité notable. On retrouve Natascha Petrinsky qui, d’un organe fiable mais sans grand caractère, campe une Miranda sensuelle comme un bibelot de vitrine. La voix est belle, le timbre riche, le chant impeccable, mais on ne reconnaît pas la présence de l’artiste dans d’autres de ses incarnations, à commencer par Judith du Château de Barbe-Bleu, il y a deux ans. Envisageons que la conception même du rôle par Adès ménage peu de possibilité à la chanteuse. Enfin, l’esprit Ariel, un colorature dont la première apparition est extrêmement tendue et virtuose, est interprété par l’impressionnante et parfaite Cyndia Sieden qui restera dans les mémoires. Toby Spence donne à Ferdinand tout son talent, d’un chant vaillant, précis et sensible.
En fosse, l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg sert du mieux qu’il peut une partition moins facile qu’elle le semble. Malgré une tempête symphonique (qui ouvre la représentation) assez terne et sans assez de relief, la conduite minutieuse de Daniel Klajner livre l’œuvre en toute intelligibilité.
BB