Chroniques

par katy oberlé

Carmen
opéra de Georges Bizet

Theater, Bâle
- 7 mars 2024
"Carmen", opéra de Bizet mis en scène par Constanza Macras, à Bâle
© ingo höhn

Piètre Carmen que celle vue ce soir à Bâle. Ainsi ma petite tournée de fin d’hiver ne s’ouvre-t-elle pas de façon très optimale… Bon, les soirées se suivent mais ne se ressemblent pas, dit-on : gageons donc que tout ira pour le mieux dès demain ! Car pour aujourd’hui, je ne suis guère à la fête avec la mise en scène très revendicative de la chorégraphe argentine Constanza Macras qui signe, avec le chef-d’œuvre de Bizet, sa première incursion dans le monde de l’opéra. La Gitane est cette fois une militante féministe acharnée, selon une mode qui, comme toutes les modes, est déjà en train de s’essouffler. Alors il ne faut plus parler du meurtre de l’héroïne par son amoureux jaloux mais d’un féminicide perpétré par un macho dominateur. Une telle lecture n’aurait pas été bien cohérente parmi les gens du voyage, même si Carmen, cigarière, ne semble pas loin de se sédentariser. Mais ici, non, rien de tout cela : de même qu’Escamillo n’est pas torero, Carmen n’est ni cigarière ni tsigane.

La transcription dans le monde du cirque, suivant la scénographie de Simon Lesemann et les costumes de Slavna Martinovic, offre plus de possibilités, tout en préservant tout de même une sorte d’exotisme. Six danseurs de la compagnie de danse de Constanza Macras, appelée DorkyPark, accompagnent ses moindres faits et gestes de diverses acrobaties, assez impressionnantes. Et José d’apparaître en flic d’une brigade anti-émeutes, affublé d’une Micaëla qui tient plus de la jeune vamp’ que de l’humble et innocente Navarraise. Les drôles de gens sont des manifestantes féministes qui défilent sur un écran. Et puisque la belle dompte les lions – des gamins déguisés, en l’occurrence –, il est bien naturel que José débarque en tenue d’Auguste et la pique de sa lame sous le chapiteau, non ? Façon de parler, puisque l’assassin n’a même pas besoin de frôler son amoureuse infidèle pour qu’elle s’effondre, morte. Les noms de toutes les victimes de féminicides depuis le premier jour de 2024 défilent telle une litanie silencieuse. « Quel cirque ! », est-on tenté de s’exclamer… l’affaire ne fonctionne absolument pas, pas plus que la direction sèche et désincarnée de Maxime Pascal, parfaitement antagoniste avec la passion qui fait le sujet de l’ouvrage. Quant aux nombreuses espagnolades de la partition, le chef français, au pupitre d’un Sinfonieorchester Basel cependant plein de bonne volonté, ne sait clairement pas quoi en faire !

C’est au plateau vocal qu’il revient donc de sauver la soirée.
Le soprano Inna Fedorii libère une voix à l’aigu pur et un chant très gracieux en Frasquita. Le mezzo richement coloré de Camille Sherman fait bon effet en Mercédès efficace. On apprécie le Zuniga sonore de la basse Johann Kalvelage et le ténor délicieusement clair de Ronan Caillet en Remendado. La Micaëla de Sarah Brady reste assez terne, mais sans vraiment démériter [lire notre chronique du Goldkäfer]. À l’inverse, l’Escamillo du baryton-basse sud-coréen Kyu Choi affirme un formidable bouquet d’épices ! Rolf Romei possède un ténor bien accroché qui remplit sa charge en Don José [lire notre chronique du Joueur]. Enfin, on retrouve avec un vrai bonheur le mezzo nord-américain Rachael Wilson dans le rôle-titre qu’elle magnifie d’une onctuosité enchanteresse ! La diction est remarquable, l’incarnation loyale et engagée, malgré l’extravagance de la mise en scène, et le timbre est infiniment chaleureux [lire nos chroniques de Lulu, Oberon, Parsifal, Otello et A midsummer night's dream]. Bravo aux artistes du Chor des Theater Basel et aux jeunes voix de la Mädchenkantorei Basel !

Me voilà quitte pour une Carmen de plus, bien dispensable pourtant…

KO