Chroniques

par katy oberlé

Aureliano in Palmira | Aurélien en Palmyre
dramma serio de Gioachino Rossini

Rossini Opera Festival / Vitrifrigo Arena, Pesaro
- 15 août 2023
À Pesaro, reprise d'AURELIANO IN PALMIRA dans la production de Mario Martone...
© amiati – bacciardi

Quelle joie de retrouver les Marches et la bonne ville de Pesaro ! C’est ici que naissait, le 29 février 1792, un certain Giovacchino Antonio Rossini, fruit du péché entre la chanteuse Anna Guidarini et le corniste Giuseppe Rossini. Cet enfant-là, vous le connaissez aujourd’hui sous le nom de Gioachino Rossini, bien sûr ! Et depuis 1980, le Rossini Opera Festival célèbre chaque été son compositeur. Ayant ouvert le feu en 2017 pour notre média [lire nos chroniques de La pietra del paragone, Torvaldo e Dorliska et Le siège de Corinthe], je me vis pourtant supplantée par une collègue tout juste arrivée dans l’équipe, de sorte que je fus privé de cette réjouissance dès l’année suivante, et ce jusqu’à maintenant. Foi de Katy, je n’avais pas dit mon dernier mot, me voici donc de retour au bord de l’Adriatique. Trois ouvrages composés sur des arguments historiques y occuperont mes soirées : Adelaide di Borgogna (ossia Ottone, re d'Italia) qui vit le jour à Rome le 27 décembre 1817, Eduardo e Cristina créé au San Benedetto de Venise le 24 avril 1819, et Aureliano in Palmira, leur aîné, dont le Teatro alla Scala (Milan) accueillait la première le 26 décembre 1813.

Trois ans après la production que Timothy Nelson signait en 2011 au Festival della Valle d’Itria, à Martina Franca, placée sous la direction musicale de Giovanni Sagripanti, où s’illustraient les voix de Maria Aleida (Zenobia), Bogdan Mihai (Aureliano) et Franco Fagioli (Arsace), Will Crutchfield était au pupitre pour une nouvelle mise en scène de Mario Martone dans laquelle chantèrent (dans l’ordre précédent) Jessica Pratt, Michael Spyres et Lena Belkina – pour ce rôle masculin, le festival choisissait un mezzo-soprano, selon la tradition, plutôt qu’un contre-ténor (Rossini l’écrivit toutefois pour le castrat Giovanni Battista Velluti). Par chance, cette version est reprise en ce soir de 15 août.

Selon une certaine habitude, pourtant non systématique, qui fait en partie sa signature, Martone occupe l’espace scénique mais aussi ses abords. Les frontières entre lieu de jeu et lieu de réception du spectacle sont donc un peu bousculées, comme celle entre théâtre et fosse. Sur le plateau, le pianoforte a été installé, ce qui déplace l’accompagnement des recitativi de façon ingénieuse. Un duo amoureux a même lieu au-dehors du décor, les chanteurs descendant presque parmi nous. La visite de quelques chèvres est un des aspects sympathiques de la soirée. Avec la complicité de son assistante Daniela Schiavone, il a dû adapter son travail d’il y a neuf ans, conçu pour la scène du Teatro Rossini. En novembre dernier, un séisme, dont l’épicentre était en mer, à quelques vagues de la cité, à endommagé l’édifice où aucune représentation ne peut avoir lieu avant des travaux – la semaine dernière, on en enregistrait un tout petit (mais tout de même…) à une trentaine de kilomètres d’ici. Pour cette raison, son Aureliano in Palmira a été déplacé à la Vitrifrigo Arena qui ne présente pas du tout les mêmes proportions. Comme nous n’étions pas là en 2014, il ne nous est pas possible de comparer, mais le résultat semble viable. Le décor de Sergio Tramonti consiste en un parcours de voiles, délimité par une passerelle à l’arrière, où l’on voit les prêtres et les soldats. Une couleur chaude et le sable sont omniprésents, propulsant l’imaginaire jusqu’au désert syrien qui abrite les ruines de Palmyre… qui abritait, pardon : entre mai et septembre 2015, l'État islamique a détruit le grand lion, l’arc de triomphe, de nombreuses tours et plusieurs temples et gravement endommagé le château Qalat ibn Maan, et a même mis à mort Khaled Assad, archéologue qui refusa de révéler où se trouvaient les trésors de Palmyre dont il dirigea les musées durant quarante ans. C’est à un autre Orient que se réfèrent les costumes flamboyants d’Ursula Patzak, et à une autre guerre : la conquête de la cité perse par les troupes romaines, deux siècles avant Jésus-Christ. Plus au service de la musique que du texte, la mise en scène s’avère limitée, avec peu de jeu et des attitudes très conventionnelles, ce qui rend de plus en plus long la représentation (trois heures et quarante minutes, avec un entracte d’une demi-heure) [lire nos chroniques de Fidelio, Macbet, Cavalleria rusticana et Andrea Chénier].

Un autre élément contribue à ce sentiment de longueur qui fatigue le spectateur : la direction musicale de George Petrou [lire nos chroniques de La Lodoiska, Siroe, Arminio, La donna del lago, La traviata et Orfeo]. Si l’attention qu’il porte à l’équilibre entre les voix et la fosse est un véritable atout, les heurts incessants signalent une marque de fabrique qui n’est pas de celles qu’on aime. Les nombreuses imprécisions et maladresses de la prestation de l’Orchestra Sinfonica G. Rossini ne sont pas dues à des musiciens incompétents : elles sont le fait d’une vue brouillonne de l’œuvre et d’une direction qui n’a pas pris la peine de bien installer chaque passage avant de s’emballer vers des effets plus ou moins heureux, comme ces percussions hurlantes qui jettent leur patatras dans la semoule instrumentale. En revanche, la réalisation des artistes Coro del Teatro della Fortuna (Fano), très bien préparés par Mirca Rosciani, est irréprochable.

Pour la reprise de ce drama per musica en deux actes joué dans l’édition critique de Daniele Carnini e Will Crutchfield pour la Fondazione Rossini, un octuor vocal efficace a été réuni. Le baryton Elcin Adil donne un Berger bien ciselé et élégant. La basse assez peu sonnante d’Alessandro Abis met cependant à l’honneur le rôle du Grand Prêtre par un art très cultivé. La partie de Licinio revient à l’excellent Davide Giangregorio, baryton-basse doté de moyens robustes et bon belcantiste. Le ténor sud-africain Sunnyboy Dladla est parfaitement à son aise en Oraspe qu’il sert d’un organe souple et clair, toujours rigoureusement exact avec l’intonation [lire notre critique de Mosè in Egitto]. On retrouve avec plaisir le mezzo-soprano Marta Pluda : elle offre une inflexion noble à Publia, richement colorée, qui magnifie l’ai Non mi lagno (Acte II) [lire nos chroniques de Didone abbandonata et d’Elisabetta, regina d’Inghilterra].

Les trois rôles de tête affirment également une belle santé. À commencer par le mezzo-soprano solide de Raffaella Lupinacci, signe une performance de haute tenue, tant sur le plan musical que pour la présence dramatique. On admire la précision de ses récitatifs et l’évidence avec laquelle elle mène la ligne vocale, ce qui favorise un aigu confortable, au service d’un lyrisme copieusement phrasé. Outre ces avantages, signalons un legato à se damner [lire nos chroniques de Rosmonda d’Inghilterra et de Bastarda]. On retrouve également la très belle voix du soprano catalan Sara Blanch Freixes, agile en Zenobia dont la coloratura souple et lumineuse ravit l’auditoire [lire nos chroniques de L’enigma di Lea, Corradino, La fille du régiment et Adina]. Le rôle-titre revient au ténor russe Alexeï Tatarintsev dont l’émission robuste est appréciable, ainsi que la projection habile. Sa partie est écrasante, toujours sollicitée, et pourtant, l’artiste montre une endurance admirable. Le raffinement de son travail de nuance achève de nous le signaler positivement. Hâte de découvrir dès demain les nouvelles productions de cette édition du Rossini Opera Festival !

KO