Chroniques

par katy oberlé

Dido and Æneas | Didon et Énée, opéra d’Henry Purcell
Die sieben Todsünden | Les sept péchés capitaux, ballet de Kurt Weill

Teatro Comunale / Comunale Nouveau, Bologne
- 16 mars 2024
"Dido and Æneas" et "Die sieben Todsünden", au Teatro Comunale de Bologne
© andrea ranzi

Parce qu’une grande partie de la partition a été perdue, représenter Dido and Æneas de Purcell reste un problème. Faut-il se contenter de le donner tel qu’il nous est parvenu ? Faut-il dire les parties du livret dont on ne possède pas aujourd’hui la musique ? Autant de question auxquelles metteurs en scène et chorégraphes doivent répondre s’ils prétendent aborder l’ouvrage. Et l’on choisit de considérer les fragment parvenus jusqu’à nous comme formant un tout cohérent, ce que font les maîtres d’œuvres la plupart du temps, faut-il le jouer seul lors d’une soirée courte, comme la Maria Egiziaca de Respighi présentée à Venise en ce moment [lire notre chronique de l’avant-veille], par exemple, ou au contraire le marier à un autre, de part et d’autre d’un entracte, tel qu’on l’a fait pour Le château de Barbe-Bleue (Bartók) ou Journal d’un disparu (Janáček) [lire nos chroniques des 4 février et 30 septembre 2007, du 28 avril 2009, des 14 février, 2 octobre et 23 novembre 2015, du 15 mai 2016, des 17 mars et 2 août 2022 et du 26 août 2023], la tradition assemblant systématiquement les deux titres véristes de Mascagni et Leoncavallo, Cavalleria rusticana et I Pagliacci [lire nos chroniques du 1er août 2009, du 17 avril 2012, du 3 juin 2016, du 19 mars 2018 et du 6 mars 2020].

Au Comunale Nouveau de Bologne, l’option est d’accoler l’opéra britannique baroque au célèbre ballet chanté de Kurt Weill, Die sieben Todsünden. Mais pour cette nouvelle coproduction de la Fondazione Haydn di Bolzano e Trento, de la Fondazione I Teatri di Reggio Emilia et du Teatro Comunale di Bologna, maestro Marco Angius, qui mène une belle carrière dans l’interprétation du répertoire de notre temps, comble les trous de la première pièce par des extraits d’Okanagon (1968) de Giacinto Scelsi et quelques-uns des Cori di Didone (1958) de Luigi Nono, compositeur dont l’année 2024 célèbre le centenaire de la naissance. Nous ne nous contenterons donc pas d’entendre les textes de Nahum Tate puis de Bertolt Brecht, il y a aussi les vers de Giuseppe Ungaretti, ce qui invite à une réflexion personnelle sur la dimension du mythe à travers les âges.

Avec la complicité de Giada Masi pour les costumes intemporels et d’Angelo Linzalata pour la lumière et la scénographie, très sobre, le metteur en scène Daniele Abbado confronte la vision de la cité dans deux œuvres majeures : elle est unique dans la première, et c’est Carthage, tandis qu’il y a dans la seconde autant de ville nord-américaine que de péchés capitaux. L’espace ne se laisse pas définir, il est ouvert sur l’horizon, parce que nous sommes dans un port. En revanche, en deuxième partie, les murs l’enferme dans la prison de la distraction, comme en souvenir d’Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny, créé à Berlin en 1930 alors que les Todsünden le seront en 1933 à Paris. Dans la foulée d’un Dido and Æneas calme dont le plateau reste assez nu, le plateau est encore plus radicalement vide pour accueillir le ballet de Weill, efficacement chorégraphié par Simona Bucci [lire nos chroniques d’Oberon et de Turandot].

Le quatuor de la famille d’Anna est honorablement servi par les ténors Andrea Giovannini et Marco Miglietta, avec le baryton Nicolò Ceriani et la basse flatteuse d’Andrea Concetti. Mais avant de s’exprimer en madrigal moderne, souvent très drôle, deux de ces chanteurs ont incarné des personnage de l’opus anglais, à savoir les deux Sorcières. À leurs côtés, le baryton Bruno Taddia campait une Magicienne robuste qui impressionna [lire nos chroniques de La Calisto, Il barbiere di Siviglia à Genève puis à Nancy, Punch and Judy, L’ammalato immaginario, Don Pasquale, Bastarda et Madama Butterfly]. Le soprano Paola Valentina Molinari était chargé de la partie du Spirito, où l’on appréciait un timbre délicat. Nous entendons pour la première fois le jeune soprano Patricia Daniela Fodor en Seconde Dame irréprochable, tandis que le rôle de la Première, Belinda, est confié à l’agile Mariam Battistelli qui sait émouvoir [lire nos chroniques de Parsifal et d’Arianna a Nasso]. On retrouve en Æneas le jeune baryton Francesco Salvadori au chant élégant et héroïque, aguerri à ce style [lire nos chroniques d’Iphigénie en Tauride, La traviata et La bohème].

Enfin, les deux rôles principaux reviennent à l’habile Danielle de Niese qui laisse un peu sur sa faim : sa Didone ne semble pas concernée par le dernier lamento, rendez-vous tellement attendu des mélomanes, mais elle se rattrape largement en Anna qu’elle investit sans compter. Anna 2, la sœur exploitée sans vergogne par Anna 1 et par leur famille, est dansée par Irene Ferrara. Au pupitre du Coro, superbe dans la partition de Nono, et de l’Orchestra del teatro Comunale di Bologna, Marco Angius livre une interprétation un peu sèche des deux ouvrages, mais qui ne semble en rien indéfendable.

KO