Chroniques

par gérard corneloup

Cavalleria rusticana | Chevalerie rustique, opéra de Pietro Mascagni
I Pagliacci | Paillasse, opéra de Ruggero Leoncavallo

Chorégies d'Orange / Théâtre antique
- 1er août 2009
soirée vériste aux Chorégies d'Orange, avec Mascagni et Leoncavallo
© dr

Puccini ayant ouvert les vannes, toute une génération de compositeurs italiens s'appliquèrent à illustrer l'opéra vériste et ses nouvelles conventions, en rajoutant toujours un peu plus dans le dramatique voire le mélodramatique… même si l'inspiration musicale n'était pas forcément au diapason. Le genre connut sa vogue et son succès. Les temps ont changé ; les mélomanes aussi. Des piliers en la matière, comme Cavalleria rusticana de Mascagni et Pagliacci de Leoncavallo, par tradition couplés en une même soirée, furent longtemps au répertoire obligé des salles lyriques : ce n'est plus une règle. Du coup, l'inscription de ces deux ouvrages emblématiques à la programmation 2009 des Chorégies d'Orange, pour la première fois de sa longue histoire, prend des allures d'événements… avec, en prime, la prestation d'un ténor terriblement multi-médiatique, même si ce diptyque n’attire point autant de monde que l'insubmersible Traviata [lire notre chronique du 11 juillet 2009].

Entre une sanglante histoire d'honneur bafoué, à la sicilienne, et un sordide fait divers façon calabraise, il faut bien reconnaître que la richesse de la trame musicale ne déborde pas de ces deux ouvrages, fort courts sinon forts denses au demeurant, dont un esprit caustique pourrait dire que l'un n'en finit pas de débuter (Cavalleria rusticana) et l'autre n'arrête pas de finir (Pagliacci). Le grand mérite du chef français Georges Prêtre, piaffant octogénaire très à l'aise dans ce répertoire et grand vainqueur de la soirée, follement applaudi à la fin, est d'avoir puisé et exprimé toutes les forces, toutes les beautés, tous les effets mais aussi tout le lyrisme contenus dans ces partitions (surtout la seconde), tirant des beautés inouïes d'un Orchestre national de France en grande forme.

L’autre grand gagnant de la soirée, chantant et jouant à la perfection le violent Alfio dans le premier ouvrage et le pervers Tonio dans le deuxième, est le baryton Seng-Hyoun Ko, voix musicale à l'extrême, expression toujours en situation, timbre d'une infinie riche – tout y est ! Pour sa part, à côté de l'aisance vocale et des aigus bien maîtrisés d'un Roberto Alagna interprétant avec aisance les deux rôles de ténor (Turiddu et Canio),Béatrice Uria-Monzon, aimante et touchante Santuzza dans Cavalleria rusticana, offre aux mélomanes son expressivité et la richesse de son émission sonore, aux côté de la Mama terriblement humaine de Stefania Toczyska et de la Lola insolente à la perfection d'Anne-Catherine Gillet. Dans Pagliacci, l'excellent reste de la distribution s'avère de la même eau, autour de la Nedda pleine de vie campée par Inva Mula et le Silvio musical à souhait du jeune Stéphane Degout. Sans oublier les importantes séquences de chœurs contenues dans ce diptyque, que servent au mieux une imposante masse chorale.

On imagine les difficultés que représente, pour un scénographe, la mise en action, en image, en lumière, de ces deux tranches de vie pathétiques, surtout sur l'immense espace du Théâtre antique. Jean-Claude Auvray, suivi en cela par le décorateur Bernard Arnoud et la costumière Rosalie Varda, a joué la carte du raisonnable et du mesuré, n'évitant point les poncifs quasiment obligés, telle la procession de Cavalleria rusticana, et donnant beaucoup de relief au long autant que sanglant finale de Pagliacci. Au premier ouvrage le noir, le blanc et toute la gamme des camaïeux entre les deux. Au second la couleur la plus vive, celle du spectacle, pouvant devenir celle de la mort.

GC