Chroniques

par bertrand bolognesi

Oberon | Obéron
opéra de Carl Maria von Weber

Théâtre du Capitole, Toulouse
- 24 avril 2011
© patrice nin

Vingt ans après sa création londonienne, l’ultime ouvrage lyrique de Weber connaissait sa première toulousaine ; ainsi son public du printemps 1846 découvrait-il Huon de Bordeaux, la version française (signée Castil-Blaze) d’Oberon. Avec ses longs moments parlés, qui plus est dans la perpétuelle question de langue qu’il pose – faut-il le monter en anglais comme à sa création (Oberon or the Elf King’s Oath), en allemand comme à sa reprise à Leipzig quelques mois plus tard (post-mortem), ou encore en français, partant que l’extrême diversité des sources du livret le pourrait justifier presque autant ? –, sa profusion de personnages non-chantants et, sans doute aussi, sa facture particulière, comme en regret stylistique, pourrait-on dire, Oberon n’a guère connu les honneurs de nos scènes comme des grandes maisons de par le monde. Il attendra 1956 pour fouler les planches du Palais Granier (en français, toujours).

En 1780, le poète allemand Wieland publie une épopée de douze chants inspirée d’un récit français de Louis de Tressan paru deux ans plus tôt – concentrant lui-même plusieurs diverses origines depuis la chanson de geste du XIIe siècle (Huon de Bordeaux) jusqu’aux versions anglaises plus récentes – qu’il colore d’autres influences, comme ses lectures de Shakespeare (dont il traduisit en langue allemande toute l’œuvre) et de Chaucer. L’avis de Schiller selon lequel il pourrait être idéal d’adapter ce poème à l’opéra ne tarda guère à susciter les enthousiasmes : après une première tentative de livret (Seyler, 1789) les compositeurs Friedrich Kunzen (livret de Baggesen, Copenhague) et Paul Wranitzky (livret de Metzler, Vienne) s’y essaient, ainsi que Karl Hanke (nous devons ces précisions à Corinne Schneider qui publie un propos passionnant dans la brochure de salle). D’autre part, le lecteur anglais se penche bientôt dans le même temps sur le poème de Wieland par le biais de plusieurs traductions. Et voilà que Covent Garden commande à Weber son Oberon ! Du coup, le livret est confié à James Robinson Planché, un livret en langue anglaise dont Theodor Hell imagine dès la création continentale (Leipzig, 1826) une version allemande – celle que nous entendons aujourd’hui.

Avec beaucoup d’à propos, le metteur en scène Daniele Abbado a conçu de concentrer l’intervention de nombreux « petits personnages » parlés en un seul Narrateur, avec la complicité de Ruth Orthmann qui a réécrit le texte original pour ces représentations au Théâtre de Capitole. Nous devons au comédien Volker Muthmann une présence dynamisante qui, à bien des moments, apparaîtra comme indispensable, même si la formule accuse le désavantage de voler quelque peu la vedette à Puck dont le rôle apparaît du coup moins essentiel dans le ressort dramaturgique. Et puisque nous abordons l’approche d’Abbado, ajoutons que sa production se révèle judicieuse, bénéficie d’une esthétique sobrement soignée dans le décor unique d’Angelo Linzalata, rehaussé des lumières choisies de Guido Levi, et jouit d’une direction d’acteurs volontairement distanciée qui convient idéalement au conte.

S’y laisse nettement moins apprécier, pourtant, l’envahissement vidéastique de Luca Scarzella. Sans conteste, non seulement la légèreté du dispositif s’y prête mais encore l’appelle-t-elle. Aussi l’exploration métaphorique qu’elle occasionne est-elle plutôt bienvenue. Les évocations et les climats sourdent comme par miracle de la toile – les tons iodés de l’Orient, par exemple. De là à bientôt enfoncer les deux jambes dans l’illustration la plus anecdotique, il y avait un pas dont nous aurions préféré qu’il ne fût pas franchi.

Au pupitre, le très précis Rani Calderon s’attelle à profiter de chaque trait, rendant parfaitement compte de la croisée stylistique à laquelle l’ouvrage est à placer. Outre un élan largement italien dès l’Ouverture, c’est une mélodie de clarinette déjà wagnérienne qui se fait entendre bientôt, jusqu’à la surcharge symphonique beethovenienne (l’Hymne de la Neuvième a deux ans, alors) qui clôt le quatuor vocal du deuxième acte (Über die blauen Wogen). De fait, l’on rencontre un Weber en recherche qui s’avère moins résolu qu’en son Freischütz (1820) mais tout autant déterminant pour les plumes à venir, principalement pour celle de Wagner dont les roulements tempétueux du fliegende Holländer semblent emprunter à la tempête d’Oberon, par exemple ; moins « localement », sans doute pouvons-nous considérer (à proportions inégales) une parentèle entre Oberon dont la pompeuse marche finale n’est pas loin d’une introduction de chœur de Norma et dont Arabien, mein Heimatland (air de Fatime, Acte III) prend des atours franchement belcantistes et certaines Feen (composé en 1833-34) dont les choix hésitent dans leurs multiples influences. Saluons la saine tonicité de l’interprétation de la fosse toulousaine, sa vivacité comme la limpidité de certains passages plus copieusement instrumentés, les délices chambristes du duo Puck/Oberon et l’efficacité des contrebasses et violoncelles.

La caractérisation des rôles fonctionne idéalement grâce à de bons choix de distribution.
Ainsi de Roxana Constantinescu prêtant à Fatime une agilité et une dynamique fort appréciables, ainsi qu’une couleur tendre qui correspond bien au personnage. Ainsi du Puck de Silvia de La Muela à la projection mordante, un rien nasalisée, et, surtout, de Ricarda Merbeth dont on retrouve l’opulence vocale au service de Rezia, la belle à conquérir puis à garder dans cette intrigue alambiquée et non dépourvue d’humour (la liste des épreuves est irrésistible). Warum musst du schlafen, son premier air, ballade annonciatrice de celle de Senta, pose d’emblée l’incarnation dans un lyrisme de haute tenue auquel l’artiste ne dérogera pas, doté d’un phrasé généreux et d’une émission ample, jusqu’à la cavatine du III, Trauere, mein Herz, à la pleinitude incroyable.

Côté messieurs, le baryton-basse finlandais Arttu Kataja prête une remarquable intelligence du texte à Sherasmin, d’un timbre tout à la fois charpenté et chaleureux qui sait se montrer agile quand le demande la partition. Très attendu, le ténor Klaus Florian Vogt livre un Huon à la couleur fabuleusement fraîche, toujours, à la projection efficace (Von Jugend auf in dem Kampfgefild’, Acte I) et dont l’art exquis de la nuance, parfois jusqu’à la prise de risque (la prière du deuxième acte), fait merveille, malgré une petite forme qui ternit quelque peu la prestation (aigu un rien tiré, phrases descendantes maladroites, instabilité et raideur inhabituelles). Enfin, Tansel Akzeybek donne un Oberon clair et gentiment impacté qui ne démérite pas.

Malgré des ensembles vocaux équilibrés, mais aussi les moments dévolus au Chœur du Capitole (préparé par Alfonso Caiani), vaillants et nettement calibrés, la chorégraphie inventive, aimable, voire gourmande de Simona Bucci, quelque chose ne prend pas dans ce spectacle. Indéniablement, monter Oberon demeure périlleux exercice.

BB