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Chroniques
Samson et Dalila
opéra de Camille Saint-Saëns
« Mon coeur s’ouvre à ta voix, comme s’ouvrent les fleurs aux baisers de l’aurore ! » Ainsi s’ouvre le poème du librettiste Ferdinand Lemaire pour l’air central de l’opéra Samson et Dalila (1877). De l’œuvre-phare de Camille Saint-Saëns, la faveur publique se poursuit, comme en atteste la production du Theater Kiel invitée à l’Opéra de Saint-Étienne. Du Schleswig-Holstein à la Loire se cultive un certain éclectisme cher au compositeur, un symbolisme dynamique à découvrir dans les scénographie et mise en scène d’Immo Karaman [lire notre chronique de Billy Budd] qui récusent effusion de sang et ciblage d’un groupe communautaire. La forme générale paraît mystérieuse mais accueillante dans la symétrie d’un univers abstrait, tracé en lignes droites, mis à part un large mur de fond relevé en glissoire.
En costume deux-pièces classique sinon en robe longue d’été, la garde-robe est strictement bicolore, soit noir soit blanc, comme tout le décor, à l’exceptions d’une teinte anthracite apparaissant pour la furie de Dalila et d’un gris métallisé à l’amorce du conflit, quand l’une des discrètes vidéos de Franck Böttcher dépeint une infusion puissante, comme une liquéfaction de l’intense fugato perforant les lamentations chorales. Pour signifier un lever de rideau ou renforcer l’innocence de l’assemblée en pleine célébration, le jeu de lumières repris par Pascal Noël veille sur les personnages avec tendresse, sauf aux bornes de la représentation. Tout aussi contrastées, avec de rapides mouvements jouant comme des pièces d’un échiquier, la chorégraphie, riche d’un certain multiculturalisme, qu’imagina Fabian Posca, signataire des costumes, ne néglige pas la part de violence de l’argument, à commencer par l’intimidant incipit d’une humanité en uniformes blancs, mains sur le visage, dressée et rangée dans une boîte carrée, à l’image de pions, là encore. Quelques mains bougent, des danseurs sortent du bloc et ondulent dans l’obscurité, puis, avec la révolte, les poings se lèvent. Dans le minimalisme, en déclinant les deux couleurs avec parfois un peu de fumée, voire d’acrobatie dans les scènes les plus dramatiques, ces formes de liberté artistique des mouvements, sensibles notamment dans le ballet, aspirant les tourments des protagonistes en rondes accélérées, se heurtent à un mobilier venu comme par surprise en place centrale (table, placards, cintres et chemises pendues, grille d’alcôves alignées en tombeaux verticaux) que les corps ne savent utiliser. En ce curieux laboratoire de rapports humains, tout comme se côtoient brutalité bestiale et délicat raffinement, il est encore conjoncture entre un goût vif pour danse et des clins-d’œil tonnants à la culture populaire. Un procédé dissociateur parvient à assurer la cohérence d’un spectacle conçu et réalisé bien loin des divertissements faciles d’une légende feuilletonesque.
La relecture concentre l’action autour d’un Samson contemporain, candide et humain. Florian Laconi s’en acquitte avec une puissance canalisée. L’hymne Israël ! Romps ta chaîne ! plaît pour la vaillance et le ténor, en prise de rôle, instille à l’Acte II, lyrisme et langueur dans le tête-à-tête avec Dalila [lire nos chroniques de Turandot, La rondine, Eugène Onéguine en Avignon, Le roi d’Ys, Carmen, Hérodiade, Les contes d’Hoffmann ici-même, Tosca, Madama Butterfly, Frédégonde et Sigurd]. Face au nazir, le baryton-basse Alexandre Baldo exprimer la nature insidieuse d’Abimélech avec un art de l’invective. De même tessiture, Louis Morvan tire le meilleur du Vieillard hébreu avec des avertissements au héros d’une belle sonorité (le second austère et perçant) et, surtout, un solo presque surnaturel, profond et d’une diction impeccable [lire nos chroniques de Salomé et de Juliette]. Autre ennemi du prophète, le Grand-Prêtre, au verbe haut et noble, s’avère un nouveau succès pour le baryton Philippe-Nicolas Martin qui livre un chant aisé et un jeu bien inspiré [lire nos chroniques d’Uthal, Lohengrin, Proserpine, Naïs, La bohème, L’elisir d’amore, Ariadne auf Naxos, Djamileh, Salome, Roméo et Juliette, L’aube rouge, enfin des Pêcheurs de perles à Saint-Étienne puis à Dijon]. Avec une fatale puissance, Marie Gautrot signe une mémorable Dalila. Le mezzo normand offre un chant vibrant, fondant et élancé dans Printemps qui commence, au premier acte. Au suivant, son récitatif justement furieux révèle d’abord un timbre admirable, puis un air de vengeance magistral, tout comme l’expression poétique de son trouble grandissant face au Grand-Prêtre [lire nos chroniques des Contes d’Hoffmann à Lyon, Eugène Onéguine à Metz, Faust, La nonne sanglante et Thaïs].
Le Chœur Lyrique Saint-Étienne Loire brille en douceur, dans une intimité d’oratorio autant qu’en masse d’énergie fantastique lors des grands tableaux. Enfin, l’Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire dirigé par Guillaume Tourniaire [lire nos chroniques du Chalet, Ascanio, L’éclair, Manon Lescaut et La sorcière] garantit la grandiloquence, la force et les nuances du drame, dans une vraie fête de la musique. Bravo pour cette belle collaboration !
FC