Chroniques

par irma foletti

Richard Wagner | Der fliegende Holländer (version de concert)
Daniel Behle, Albert Dohmen, Asmik Grigorian, Bryn Terfel, etc.

Gianluca Marcianò dirige l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo
Opéra de Monte-Carlo / Forum Grimaldi
- 2 novembre 2025
À l'Opéra de Monte-Carlo, "Der fliegende Holländer" en version de concert...
© omc | marco borrelli

Proposé par l’Opéra de Monte-Carlo en un unique concert mis en espace, Der Fliegende Holländer rassemble plusieurs grands noms au sein de sa distribution vocale. En tête, Bryn Terfel dans le rôle-titre et Asmik Grigorian en Senta. Si le grain de voix et le mordant du baryton-basse gallois correspondent bien au héros maudit qu’il incarne depuis de nombreuses années, de petites fragilités dévoilent tout de même une méforme, à la limite d’une éventuelle annonce préalable [lire nos chroniques de Don Giovanni, Œdipus rex, Faust, Der Ring des Nibelungen, Die Walküre, Tosca, Boris Godounov et du récital Verdi/Wagner]. La fin de son air d’entrée, Die Frist ist um, s’émaille en effet de quelques impuretés, avant la survenue d’un problème plus marqué où l’instrument paraît commencer à se déchirer sur le mot mich. Par la suite, l’interprète parvient cependant à gérer au mieux ses moyens, souvent avec une bonne dose de prudence et en utilisant, par instants, la voix de tête sur de courts passages. Quelques sons fixes viennent également renforcer le caractère inquiétant, voire maléfique du personnage.

Contrastant avec son confrère, la Senta d’Asmik Grigorian semble constamment s’épanouir, dans une forme vocale éblouissante. Avec une musicalité idéale, le soprano délivre un chant expressif, du grave parfois agréablement poitriné à l’aigu vainqueur et capable d’une largeur spectaculaire. L’artiste s’investit aussi avec force sur le plan théâtral, encore plus impressionnante dans ses face-à-face avec Erik ou le Hollandais à la fin du deuxième acte [lire nos chroniques de Wozzeck à Cologne puis à Salzbourg, Le joueur, Le démon, Salome, Symphonie Op.135 n°14, Elektra, Jenůfa, Vier letzte Lieder et Il trittico].

Basse wagnérienne de grand métier, aux graves profonds et aux aigus parfois moins confortables, Albert Dohmen est aussi un Daland d’expérience. Daniel Behle conduit une ligne élégante en Erik, d’un instrument bien concentré et projeté [lire nos chroniques de Farnace, La concordia de’ pianeti, Symposium-Diskurs, Die Meistersinger von Nürnberg, La donna del lago et Tannhäuser]. La Mary d’Angharad Lyddon fait entendre un timbre sombre et riche, d’un volume mesuré, tandis que l’autre ténor, Trystan Llŷr Griffiths [lire notre chronique de Don Giovanni], chante la partie du Timonier d’une voix plutôt légère et agréable, parfois tendue sur les notes les plus aiguës. Renforcé par un nombre significatif de supplémentaires, le Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo fait preuve d’une belle vaillance quant aux hommes et d’une cohésion presqu’irréprochable… n’était un ténor bien solitaire qui part une mesure trop tôt dans un ensemble, au premier acte ! Les femmes charment également l’oreille, à partir du deuxième, dans un bel équilibre aux nuances dynamiques.

La mise en espace est agrémentée des vidéos de D-WOK [lire nos chroniques de Norma, Elisabetta, regina d’Inghilterra et Das Rheingold], habituel partenaire du metteur en scène Davide Livermore [lire nos chroniques de La Cenerentola ossia La bontà in trionfo, Signor Goldoni, I vespri siciliani, Adriana Lecouvreur et Demetrio e Polibio], auquel est confiée la réalisation visuelle de la toute prochaine Aida, dans cette même salle du Forum Grimaldi. Solistes et choristes peuvent donc se mouvoir sur le vaste espace du plateau, devant le mur d’images : une eau bouillonnante qui s’agite dans un grand aquarium envahi par la fumée, passant du bleu au rouge, de petits rochers ou encore un crâne à l’apparition du Hollandais.

L’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo est placé sous la direction très vive de Gianluca Marcianò [lire nos chroniques d’Un ballo in maschera et de Don Carlo]. Si les premières mesures bénéficient d’un fort volume, les tempi sont ensuite variés, comme les phrases qui suivent immédiatement, jouées par un délicat cor anglais. Si l’on apprécie le nerf et l’énergie qui donnent vie à la musique, plusieurs changements de volume marqués ou de rythme paraissent toutefois relever d’un effet spectaculaire, au détriment du discours musical. Par exemple, l’accentuation du caractère majestueux de certains moments qui n’en demandent sans doute pas tant… La qualité des instrumentistes se situe à un niveau d’excellence, comme le prouvent plus d’une fois la virtuosité des cordes, même si l’on détecte de fugaces imperfections chez les cuivres ou à la clarinette.

IF