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Chroniques
Der Rosenkavalier | Le chevalier à la rose
opéra de Richard Strauss
Quelques brèves projections, comme en ciné-concert, se greffent dans la mise en scène de Krzysztof Warlikowski, semble-t-il plus enclin à interroger les motivations des personnages du Rosenkavalier qu’à défendre le lyrisme de l’ouvrage. Dès le premier prélude, la vidéo en noir et blanc livre la clé de la dramaturgie et la fin de l’histoire. Le rôle d’Octavian, masculin quoique écrit pour mezzo-soprano, revêt ici des atours féminins. L’emblématique moment de la transmission de la rose d’argent est joué par deux jeunes censément amoureux mais très distants l’un de l’autre, face au public, parmi quelques potiches bariolées parsemant le large espace scénique. À bien y voir, l’expression des sentiments n’a aucun charme apparent... au contraire des images surannées du film Der Rosenkavalier de 1926 qui illustrent un peu l’argument [lire notre chronique du 14 novembre 2009].
Sur les planches peintes à la manière abstraite, l’imagination ne va pas plus loin que le théâtre voisin, dont la salle au velours pourpre sert de décor agrémenté de mobilier d’intérieur, ni qu’une enseigne de l’avenue Montaigne pour les costumes, le tout signé par la scénographe Małgorzata Szczęśniak. Sous un jour égal, traduit en lumières de plateau de télé, la transposition de la Vienne impériale en un faubourg parisien et son studio peuplé de victimes de la mode viserait facilement à renforcer l’esprit des lieux... à condition de réduire les grandes figures artistiques, si vite et aisément convoquées, à des poseurs comme les pauvres ères aux sapes de lord qui détaillent ici leurs états d’âme à haute voix – les propos bouleversants de la Maréchale résonnant hélas dans un vide théâtral – ou tournent des scénettes creuses pour Internet. Plus comique au sens large que lyrique, selon une conception théâtrale énergique, tantôt dans la confusion et tantôt dans l’audace, il s’agit plutôt de la représentation acerbe d’une micro-société aux couleurs mal assorties, dans un cadre visuel qui jure, bien qu’à travers un regard sincère.
À trop craindre l’hommage à une certaine culture jamais mieux servi que par elle-même, le réconfort se trouve dès lors en l’humanité éclatante des grands rôles. L’horrible ambiguïté du baron Ochs, grâce à l’incroyable basse Peter Rose [lire nos chroniques de La damnation de Faust, Der Rosenkavalier, Eugène Onéguine, Tosca et Parsifal], excellente dans les monologues, et l’élégante leçon de vie chantée par la Maréchale de Véronique Gens marquent sans doute le plus les esprits. L’Octavian ample, nerveux et doux de Niamh O’Sullivan [lire nos chroniques de Der Diktator, De la maison des morts, Lalla-Roukh, Das Rheingold et Semele] et la Sophie tendre et fraîche du soprano Regula Mühlemann [lire nos chroniques de Das Labyrinth, Le nozze di Figaro, Fidelio, de la Quatrième de Mahler et de Die Zauberflöte à l’Opéra national de Paris, au Salzburger Festspiele puis ici-même] font assurément fondre les cœurs dans les trios du dernier acte.
Davantage investi dans le vaudeville, avec de la colère en bâtons de dynamite mais encore en tant que père bourgeois humainement à l’écoute des autres, le baryton Jean-Sébastien Bou passe par tous les états de Faninal avec un féroce appétit de chant comique [lire nos chroniques de Lohengrin, Turandot, Iphigénie en Tauride, Les Boulingrin, Don Pasquale, Renaud, Claude, Le Comte Ory, Bérénice, Fantasio, Rodelinda, Le soulier de satin et Werther]. Les deux espions remplissent leur mission avec talent, le ténor Krešimir Špicer tonique et alerte en Valzacchi [lire nos chroniques de La Didone, David et Jonathas, Il ritorno d’Ulisse in patria, Lucio Silla, Israel in Egypt puis Idomeneo à Metz et au Festival d’Aix-en-Provence] et le mezzo Éléonore Pancrazi, surexcité et fringant en Annina à la superbe capacité d’irruption vocale [lire nos chroniques de L’heure espagnole, L’île du rêve, Lucrezia Borgia et Faust]. Le soprano Laurène Paternò invite une intéressante émotion dans sa duègne Marianne, tandis que le ténor Francesco Demuro signe en Chanteur italien un amusant pastiche de bel canto [lire nos chroniques de Maria Stuarda, Rigoletto, Lucia di Lammermoor, Attila, Simon Boccanegra et Beatrice di Tenda]. De plus brèves apparitions mettent en valeur le liant et la chaleur du ténor François Piolino (Majordome), le jeu narquois du ténor Yoann Le Lan (Aubergiste) et l’expressivité du baryton Florent Karrer (Notaire et Commissaire). La Maîtrise des Hauts-de-Seine se montre efficace, sur les traces du Chœur Unikanti, sémillant ou émouvant dans sa participation éparse.
Enfin, garant du bon pas de la comédie, l’Orchestre national de France, dirigé par le chef hongrois Henrik Nánási [lire nos chroniques de La foire de Sorotchintsy, Otello et Jenůfa], se soucie de tout avec subtilité. Thèmes, valses, tempi d’opérette... ainsi chaque musicien apporte-t-il sa pierre à l’impressionnant édifice. Bravo et merci à cette fosse passionnée !
FC