Chroniques

par bertrand bolognesi

cinq commandes de l’ensemble Orbis
Ariadna Alsina Tarrés, Édith Canat de Chizy,

Aurélien Dumont, Jeremías Iturra et Mahak Sadeghzadeh
Salle Paul Garcin, Lyon
- 11 novembre 2025
À Lyon, concert de création par l'ensemble ORBIS et Demian Rudel Rey...
© elsana adzemovic

Sous la battue du chef et compositeur argentin Demian Rudel Rey [lire notre chronique de Qu’est-ce que l’amour ?], l’ensemble Orbis poursuit son exploration des nouveaux récits que peut générer la création musicale à l’heure des fractures écologiques. Commandées dans le cadre du projet Brises sauvages, les cinq œuvres réunies ce soir invitent, chacune à sa manière, à repenser notre rapport au vivant, au temps et à la mémoire. Le concert commence par Minor Assembly d’Aurélien Dumont, qui d’emblée s’impose comme proposition d’une indéniable cohérence poétique. Inspirée d’un article de la romancière d’Ursula K. Le Guin, The Carrier Bag Theory of Fiction, à laquelle elle est dédiée (dans le cadre d’un cycle qui rend hommage aux auteurs américain de SF), la pièce refuse l’héroïsation pour lui préférer l’assemblage fragile, le tissage patient de matériaux choisis volontairement modestes. Les interventions de Lisa Meignin (flûte), Yui Sakagoshi (saxophone), Lisa Heute (accordéon) et Louis Quiles (percussion), relayées par une électronique discrète et organique ici diffusée par Rocío Cano Valiño, s’entrecroisent, se contredisent parfois, mais toujours avec cette respiration commune propre aux récits qui se construisent sur des fragments de plusieurs mains. Un épisode plus rythmique — presque un déchaînement collectif — fait brièvement céder l’horizontalité du discours, avant que les souffles ne s’évanouissent dans une extinction aussi fine que sensible.

S’ensuit Winds d’Édith Canat de Chizy, où se déploie une circulation de flux non dirigés, inspirée d’Hildegarde von Bingen. La volubilité s’en révèle généreuse, animée par les infimes ajustements des musiciens à l’écoute les uns des autres. Nerveux, puissant aussi, l’arc final parachève le parcours non sans éclat.

Avec Kintsugi, Ariadna Alsina Tarrés [lire notre chronique de Dis-till-action] signe l’un des moments les plus marquants du programme. S’emparant de la philosophie japonaise qui célèbre la réparation comme métamorphose, la compositrice imagine un monde de timbres fissurés, recomposés, magnifiés. D’une subtilité inouïe, l’électronique ne révèle jamais ses secrets mais suggère, ouvre des brèches, laisse affleurer tantôt la densité d’une matière pleine, tantôt la délicatesse d’une cicatrice sonore. La pièce avance comme une cérémonie intime dont l’écoute avance vers une perception quasiment tactile de cet univers sonore singulier, d’une poésie rare, qui laisse durablement son empreinte.

La jeune compositrice iranienne Mahak Sadeghzadeh (vingt-et-un ans à peine) propose Ashes of a mind, seule page de la soirée dénuée d’électronique. On y entend des éclats d’un souvenir qui brûle lentement, entre murmure et implosion. La tension, d’abord latente, se condense jusqu’à l’énergie frontale. Voilà une écriture directe, incisive, qui affirme une personnalité solide et un sens aigu du geste.

La soirée s’achève sur Orbi et Umbra de Jeremías Iturra [lire nos chroniques de Reverse tracking shot et Touch of Evil], associant instruments, électronique et un dispositif vidéographique où sont mêlées images de synthèse, images du film Meshes of the Afternoon (Maya Deren et Alexander Hammid, 1943), et moments d’une réalisation de son fils Lucas. Si le compositeur interroge l’ombre comme espace de mémoire et de rémanence, l’omniprésence de la vidéo tend parfois à détourner l’attention de la substance musicale, au point que l’équilibre espéré entre sons et images peine à pleinement s’incarner.

L’ensemble Orbis confirme ici la pertinence de sa démarche, soit faire de la création un lieu de récit renouvelé où l’articulation entre fragilité et imagination ouvre à d’autres manières d’habiter le monde. Et, au cœur de cette constellation, les œuvres d’Ariadna Alsina Tarrés, d’Aurélien Dumont [lire nos chroniques de Sérieux Gravats, Abîme Apogée, Baïnes et Âpre Bryone, ainsi que notre entretien du printemps 2022] et de Mahal Sadeghzadeh témoignent d’une fertilité dont ne se dément pas l’impact.

BB