Chroniques

par bertrand bolognesi

Théodore Dubois
œuvres variées

1 livre-disque 3 CD Ediciones Singulares (2014)
ES 1018

La collection Portraits du Palazzetto Bru Zane, dirigée par Alexandre Dratwicki et qu’édite Singulares, s’enrichit d’un deuxième volume. Après Théodore Gouvy (1819-1898), qui inaugurait ces livres-disque [lire notre critique de l’ouvrage], abordons la génération suivante avec Théodore Dubois. Plus connu pour sa musique religieuse et ses ouvrages théoriques, Dubois (1837-1924) laissa nombre d’opus, contribuant dans tous les genres, de la sonate en solo au grand opéra orientaliste. La lecture en est franchement passionnante, de la brève biographie que signe Dratwicki, en regard d’extraits du Journal du compositeur, qu’il commente, à l’hommage prononcé par Charles Widor en 1924 à l’Institut – où Dubois occupait depuis vingt ans le fauteuil de Gounod –, en passant par les passages empruntés aux Souvenirs de ma vie de Dubois lui-même, parus chez Symétrie en 2008 (par les bons soins du Palazzetto, toujours).

Né champenois sans fortune en milieu rural, le jeune Théodore n’en acquiert pas moins son premier savoir musical et monte bientôt à Paris où, grâce aux relations du maire de son village, homme du monde, il est admis au conservatoire. Là, vivant chichement et travaillant avec énergie, l’adolescent obtient vite les prix de fugue, d’orgue, de piano et d’harmonie. Tôt en poste à la chapelle des Invalides, il se présente à l’examen au terme duquel César Franck choisit l’accompagnateur qui lui est nécessaire à Sainte-Clotilde. Tout en gagnant dûment son pain, il est élève compositeur d’Ambroise Thomas et prétend au Prix de Rome. D’abord recalé, il l’emporte à la deuxième tentative ; il est dans sa vingt-quatrième année.

Son séjour à Rome se passe sous le signe de l’enthousiasme, de la curiosité, de la découverte et toujours du travail. Le grand Liszt lui rend visite et l’encourage ; les deux hommes partagent une certaine inspiration religieuse. Franck ne l’oublie pas : à son retour, il le nomme maître de chapelle à Sainte-Clotilde. À trente-et-un ans, à la Madeleine il est associé à Camille Saint-Saëns, son aîné de deux ans. La carrière s’ouvre, le fait grandir : en 1871, Dubois succède à Delibes au conservatoire, comme professeur de composition et, six ans plus tard, avec l’arrivée de la quarantaine, reprend le poste d’organiste de la Madeleine, laissé vacant par Saint-Saëns. Le parcours est royal : à la maturité, il devient directeur du conservatoire, quand meurt l’illustre Messin. La retraite arrive en 1905 : il a soixante-huit ans. Il en vivra encore presque vingt qui donneront naissance à des œuvres au métier clair dont le langage évolué contredit cet a priori par lequel longtemps l’on crut devoir tenir en mépris sa musique, amalgamant l’académisme des fonctions officielles de l’homme à l’inventivité de l’artiste.

Peu importe : depuis 2010, les partitions refont surface, les interprètes s’y penchent, le Centre de musique romantique de Venise – cité plus haut par sa dénomination topologique de palazzetto [lire nos dossiers de septembre 2010, mai 2013 et février 2014] – agissant avec la conviction qui le caractérise pour la redécouverte de l’œuvre de Théodore Dubois, que ce soit au concert ou par le disque (Le Paradis perdu, etc.). Sous les archets graciles du Quatuor Giardini [lire nos chroniques du 11 octobre 2013 et du 16 octobre 2014], goûtons l’élégant Allegro leggiero du Quatuor pour violon, alto, violoncelle et piano (1905), par exemple, mais aussi l’extrême lyrisme de son Allegro agitato initial et l’admirable architecture de son final (Allegro con fuoco). De cette même période, la passionnante Sonate en la mineur qu’en une verve contrastée livre Romain Descharmes, avec sa gracieuse méditation centrale (Andante quasi adagio), délicatement ouvragée.

Abandonnons le catalogue chambriste de Dubois pour le monde de la symphonie : la Symphonie française en fa mineur (1908), et sa fine écriture des timbres, mise en valeur par François-Xavier Roth à la tête de ses Siècles (superbe Andantino pastoral), la plus rogue Symphonie en si mineur n°2 (1912), où Hervé Niquet, dirigeant le Brussels Philharmonic, fait par moments entendre Dukas, dans une facture assez robuste. Un disque entier est consacré à la musique religieuse, avec quelques motets et la Messe pontificale dans une reconstitution effectuée quelques temps avant la redécouverte de l’originale orchestrée. Si le concerto n’est pas représenté – souvenons-nous la séduisante Fantaisie pour harpe et orchestre, entre autres [lire notre chronique du 22 novembre 2013] –, saluons cet aperçu judicieux qui essaimera, n’en doutons pas !

BB