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Au pays où se fait la guerre...
Isabelle Druet et le Quatuor Giardini
Afin d’ouvrir la quatrième édition de son festival Autunno in musica (du 16 au 30 octobre), la Villa Médicis a choisi Au pays où se fait la guerre, récital vocal conçu en quatre actes et érigeant pour titre général celui d’une mélodie composée par Henri Duparc en 1870 sur un poème de Théophile Gautier, éditée pour la première fois en 1877. Ainsi se poursuit le partenariat de l’Académie de France à Rome avec le Centre de musique romantique française de Venise, le Palazzetto Bru Zane étant en effet producteur de ce programme particulier avec lequel il inaugurait fin septembre le premier week-end de son cycle Romantisme entre guerre et paix (du 27 septembre au 11 décembre, in loco), et qui tournera pour quelques seize dates en Italie et en France – les 6 novembre à Laon, 7 à Guebwiller, 14 à Paris (Musée de l'Armée), 15 à Metz ; le 14 décembre à Poitiers, le 20 janvier 2015 à Aix-en-Provence, le 22 à Entraigues-sur-la-Sorgue, le 25 en Arles ; à Périgueux le 5 février, etc.
Quatre épisodes articulent ce parcours d’un peu plus d’une heure dans un sujet tant dérangeant qu’actuellement mis à l’honneur par le centenaire de la mobilisation de 1914. Plusieurs aspects sont à considérer, qu’il s’agisse de l’enthousiasme patriotique, de l’angoisse du combat et de celle d’un entourage dans l’attente, de la désillusion d’une guerre qu’on annonçait brève et qui fit endurer quatre années d’horreurs, de la déploration et du deuil, mais encore d’un certain folklore cocardier et de sa critique. Les parties de piano comme les accompagnements d’orchestre des diverses pages réunies dans Au pays où se fait la guerre ont fait l’objet d’une transcription pour quatuor (trio à cordes avec piano), les moments de musique instrumental s’intercalant aux interventions d’un mezzo-soprano.
On retrouve ce soir le Quatuor Giardini, constitué de Pascal Monlong (violon), Caroline Donin (alto), Pauline Buet (violoncelle) et David Violi (piano), un ensemble que nous applaudissions l’an dernier dans un programme français [lire notre chronique du 11 octobre 2013], mais encore la voix d’Isabelle Druet, une artiste dont aisément la personnalité emporte l’auditeur au fil des textes et des situations évoquées [lire notre chronique du 21 février 2010].
Quatre périodes, donc, à cette promenade tour à tour poignante, grinçante et pathétique, elles-mêmes structurées selon un modèle presque systématiquement vérifiable, un mouvement de quatuor y précédant trois parties de chant, empruntées au répertoire lyrique ou à la mélodie. Malgré la théâtralité certaine de la prestation d’Isabelle Druet, on ne saurait, à proprement parler, qualifier la chose de spectacle, cette théâtralité reposant essentiellement sur le tempérament de la chanteuse et le recours à quelques accessoires (calot, voilette, sabre, revolver, etc.), sans véritable mise en scène.
L’Allegro ma non troppo conclusif du Quatuor avec piano Op.69 n°1 de Mel Bonis introduit dramatiquement Le Départ, poursuivit dans la moquerie d’une fascination féminine dont la stupidité est révélée par l’Ah, que j’aime les militaires d’Offenbach. Sagement à coté du piano, Isabelle Druet range sa verve gouailleuse pour l’Exil de Cécile Chaminade (poème de René Niverd), délicatement mené, dans une nuance étale, sans surjeu. C’est encore La Grande Duchesse de Gerolstein qui conclut cette partie, avec les Couplets du sabre et leur absolue grossièreté, venant comme insulter la peine exprimée juste avant – eh oui, c’est ça, la guerre ! Dans une urgence volontairement un peu fruste, l’Allegro molto du Quatuor avec piano Op.45 n°2 de Gabriel Fauré nous emmène au Front où s’entendent bientôt les pépiements de La fille du régiment, l’ouvrage de Donizetti livrant dessousla ceinture les atermoiements d’une péronnelle. Le contraste est grand avec la distance digne des Larmes, mélodie de Benjamin Godard (1849-1895) sur les vers du Normand Paul Harel, donnée sans pathos – le Palazzetto publie en ce moment même un fort beau CD du pianiste Alessandro Deljavan entièrement consacré à la musique de Godard (label Piano Classics). La litanie douloureuse d’Au pays où se fait a guerre d’Henri Duparc use judicieusement des possibilités de couleurs et d’attaques variées de la formation chambriste, soulignant l’étrange suspens de « Quelqu’un monte à grands pas la rampe… » à la dernière strophe, proprement saisissante. L’émotion est au rendez-vous, oui…
La mort s’invite, avec la lamentation de l’Adagio du Quatuor avec piano Op.15 n°1 de Fauré où l’expressivité du piano fait sens. Des Cinq poèmes de Charles Baudelaire mis en musique par Claude Debussy entre 1887 et 1889, l’on entend Recueillement qui prend la place jusqu’à lors réservé à la gaudriole « opérettique ». Il n’est plus temps de rire, vraiment, et cette superbe interprétation n’en dément pas, de même que la bouleversante Élégie de Duparc, juste après. De fait, la veuve du colonel d’Offenbach (La vie parisienne) ne réjouit guère… Cette faculté de mettre au loin les réalités de 1870 ne résiste pas aux atrocités de 14-18 : finie, la rigolade ! L’ultime section, En Paradis, demeure concentrée sur l’essentiel, avec l’Andante du Quatuor avec piano de Reynaldo Hahn, à la clarté un peu hautaine, puis le lyrisme débridé de Nadia Boulanger, Élégie presque mahlérienne sur un poème d’Albert Samain. Théodore Dubois aura le dernier mot : En Paradis, conclusion des sept Chansons de Marjolie de 1913 (poèmes de Louis de Courmont), souvenir d’un passé heureux, perdu à jamais, enfin l’élégante gravité du deuxième mouvement (Andante molto espressivo) de son Quatuor en la mineur de 1907, nimbé d’une lumière apaisée.
BB