Chroniques

par laurent bergnach

Richard Wagner
Die Meistersinger von Nürnberg | Les maîtres chanteurs de Nuremberg

2 DVD EuroArts (2014)
2072688
À Salzbourg en 2013, Danielle Gatti joue Die Meistersinger von Nürnberg

Écoutant les conseils de l’entourage, Wagner se décide à écrire un opéra « d’un genre plus léger » qui pourrait lui ouvrir la porte des théâtres allemands et, enfin, lui valoir un succès public qui se fait attendre. Les Grecs n’avaient pas hésité à marier pièce satirique et tragédie, si bien que le concours de chant de la Wartburg (Tannhäuser) [lire notre critique du DVD] verrait bientôt naître son pendant comique. En 1852, dans Une communication à mes amis, le musicien raconte pourquoi l’idée lui est venue, durant un voyage des plus agréables, de concevoir le personnage de Hans Sachs « comme la dernière incarnation de l’esprit populaire créateur » et de l’opposer à « l’esprit petit-bourgeois des maîtres chanteurs, dont le pédantisme drôle et la poésie contrainte prirent les traits du “Marqueur” » (in Dans la tête de Richard Wagner, Fayard, 2011) [lire notre critique de l’ouvrage].

Si la première esquisse remonte à juillet 1845, la composition proprement dite démarre deux décennies plus tard, quelques mois après la création de Tristan und Isolde (1865). Le premier acte est achevé le 23 mars 1866, le suivant le 6 septembre de la même année et le dernier le 24 octobre 1867. Entre temps, rappelant que cet opus est un bélier pour permettre l’existence de ses œuvres sérieuses, il vante à l’éditeur Franz Schott un sujet aux « aspects extraordinairement sympathiques, drôles » et se félicite d’avoir trouvé « (en dehors d’un plan très original) une histoire aussi inattendue » (30 octobre 1861) [lire notre critique de l’ouvrage Bons baisers de Bayreuth]. Die Meistersinger von Nürnberg voit le jour à Munich, le 21 juin 1868.

Fervent admirateur de Shakespeare et de son « divin mépris du monde », Wagner livre donc son Midsummer night dream (1600) que va sublimer plus d’un metteur en scène durant ce nouveau siècle, à l’instar de McVicar à Glyndebourne [lire notre critique du DVD]. À l’inverse, certains passent à côté du sujet, tel Stefan Herheim au Salzburger Festspiele, en août 2013 – un artiste qui pourtant avait réussi un Onéguine original en 2011 [lire notre critique du DVD].

Son option de placer Sachs fantasmant l’opéra en cours dans son logis Biedermeier s’épuise vite. Certes, dans un premier temps, on apprécie les meubles géants auprès desquels les personnages bariolés semblent des porcelaines issues des manufactures de Meißen ou encore les symboles de l’identité romantique allemande (Des Knaben Wunderhorn, Grimms Märchen) – saluons Heike Scheele (décors), Gesine Völlm (costumes) et Olaf Freese (lumières) – ; mais l’émotion ne vient jamais, écartée au profit d’une agitation perpétuelle et anecdotique, proche de l’opérette et de la comédie de boulevard. Pire que tout, pour finir, Herheim verse dans un pathos lamentable et risible qui présente Sachs comme victime d’évanouissement et de pulsions autodestructrices.

Comment ce travail raté a-t-il pu retenir l’attention de Paris qui le programme en mars 2016 ? Mystère des goûts et des couleurs…. Mais au moins échapperons-nous à Daniele Gatti, ici en fosse avec des Wiener Philharmoniker impeccables et dociles. Si c’est d’abord l’absence de demi-teintes qui gêne dans la lecture d’un chef aux options limitées (fluidité falote ou marcato militaire), c’est ensuite le rythme qui blesse l’oreille (ralentis malmenant les chanteurs, fragmentation telle un IRM de la partition), puis sa grossièreté (absence de ciselure, de brillance et, disons le tout de go, d’esprit). « Non, je ne peux pas jouer ça ! » aurait déclaré lors de la création le corniste et compositeur Franz-Joseph Strauss, père du fameux Richard : pour des raisons indépendantes de leur volonté, d’autres musiciens ne le peuvent pas non plus.

La distribution vocale s’avère moins pénible, si l’on excepte Michael Volle (Sachs) au vibrato imputable aux ralentis évoqués plus haut, Roberto Saccà (Walther) globalement inégal et Anna Gabler (Eva) dont le jeu caricatural finit par seul retenir l’attention. En revanche, on admire la voix ferme de Markus Werba (Beckmesser), celle vaillante et sûre de Georg Zeppenfeld (Pogner), la chaleur et la facilité de Monika Bohinec (Magdalene) ainsi que la santé et la nuance de Peter Sonn (David), ténor prometteur au timbre attachant qui chante beaucoup Strauss et Wagner. Enfin, signalons l’excellence de la Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor.

LB