Chroniques

par bertrand bolognesi

Christophe Looten
Bons baisers de Bayreuth – Richard Wagner par ses lettres

Fayard (2013) 404 pages
ISBN 978-2-213-67107-9
Christophe Looten | Bons baisers de Bayreuth

Parmi le grand nombre de livres parus à l’occasion du bicentenaire Wagner, si d’aventure vous n’en pouvez lire qu’un, formulons le vœu que ce soit celui-ci ! Dans l’esprit de son Dans la tête de Richard Wagner [lire notre critique de l’ouvrage], le compositeur et musicologue français Christophe Looten propose un parcours passionnant à travers la correspondance du maître. Plutôt qu’à en livrer l’intégralité de celles disponibles à ce jour – environ neuf mille sur les douze mille présumées, dont un trente-cinquième tome devrait achever l’édition définitive en langue originale vers 2025 –, l’auteur a effectué un choix judicieux de lettres qu’il a lui-même traduites et dont il articule la publication par de brefs rappels des circonstances dans lesquelles elles furent écrites. Ainsi avançons-nous pas à pas dans la vie et la carrière d’un prosateur qui à maintes reprises s’avère subtile, quand bien même ses jugements ne sont guère nuancés, bien souvent.

Peu à peu le volume délaisse la sphère strictement privée, qui s’ouvrait sur les soucis engendrés par l’orageuse relation avec Minna, la première épouse de Wagner, mais encore ses amitiés parfois exigeantes, pour scruter très précisément les crises de doute d’un créateur qui n’en finit pas d’espérer, en vain croit-il, jusqu’à cette formulation incroyable de l’attente d’un miracle qui survient : il s’appelle Louis II, il est roi de Bavière et envoie un émissaire lui signifier son admiration et sa décision de l’activement protéger.

Les échanges familiaux – avec ses deux sœurs actrices et un frère ténor, on peut affirmer que la fibre artistique y fut pleinement inscrite – sont marqués par les premiers élans, déceptions et succès du jeune musicien, de son attente d’un signe de la part de Schumann, par exemple, comme de ses impressions lorsqu’il dirige la Septième de Beethoven à Riga (1838). L’ambition le pousse à une correspondante d’un tout autre genre, notamment avec Meyerbeer duquel il espère beaucoup, comme en témoigne une prose française délicieusement alambiquée, et l’humilité paradoxale à s’étonner du très grand succès rencontrée par son Rienzi à Dresde (1842) – un passage très touchant, vraiment.

Encore rencontre-t-on ses avis sur la musique de son temps, des avis qui n’hésitent pas à moquer, quand ce n’est fustiger la production italienne belcantiste qu’il estime tant stupide que mal fagotée, pour ainsi dire. L’artiste est omniprésent, dans sa fragilité, ses excès, ses fièvres, de même que l’homme Wagner, parfois contradictoire, souvent plein d’humour, même dans la morsure. Bien des idées reçues sont bousculées par la lecture de Bons baisers de Bayreuth, comme l’épisode de la trahison du roi qui présente les deux premiers volets du Ring à Munich sans son accord et dans des conditions suffisamment lamentables pour les desservir, les conseils avisés et patients aux chanteurs pour lesquels il conçut les grands rôles que l’on sait ou encore les accrocs vécus sur la « colline verte » que Wagner envisagera même sérieusement de quitter pour l’Amérique du nord.

Inutile d’en dire plus : lisez-le, c’est mieux !

BB