Recherche
Chroniques
Pascal Decroupet
Karlheinz Stockhausen – Gruppen
Il y a cinq ans, les Éditions Contrechamps rassemblait sous le titre de l’un d’eux, …Comment passe le temps…, plusieurs essais sur la musique écrits par Karlheinz Stockhausen (1928-2007) entre 1952 et 1961 [lire notre critique de l’ouvrage]. Dans De Webern à Debussy, un texte de 1954 destiné à un programme de la radio de Cologne avec laquelle il collabore étroitement – Nordwestdeutscher Rundfunk (NWDR), bientôt scindée en Norddeutscher Rundfunk (NDR) et Westdeutscher Rundfunk (WDR) –, le compositeur fait le point sur son évolution artistique, à l’aube d’élaborer sa pièce électroacoustique Gesang der Jünglinge (1956) :
« en abordant la composition électronique, je suis allé au-delà des sons donnés, produits par les instruments, pour faire entrer dans le travail de composition les harmoniques, ou plutôt les sons partiels, c’est-à-dire les spectres sonores des processus acoustiques utilisés dans une œuvre sérielle. Dès ce moment, je suis reparti de zéro, comme si toute ma formation musicale ne m’avait servi à rien. Il m’a fallu réétudier à fond les constituants élémentaires du matériau sonore ».
De cette remise en question naît Gruppen, une partition pour trois orchestres largement identiques créée à Cologne le 24 mars 1958, sous la triple direction de Pierre Boulez, Bruno Maderna et de son concepteur lui-même, puis modifiée de façon significative pour les reprises à Donaueschingen et à Vienne. Spécialiste d’une décennie devenue légendaire, Pascal Decroupet analyse cette œuvre-phare dans un volume qu’il lui consacre entièrement – complétant ainsi une collection de poche qui mit récemment en couverture les noms de Berio, Boulez et Nono [lire nos critiques des essais d’Alain Poirier, de Peter O’Hagan et de Laurent Feneyrou].
S’appuyant sur nombre d’esquisses et de documents inédits, le musicologue retrace la genèse du projet, appréciant la traduction des idées originelles en une contribution virtuose au concert spatialisé alors émergeant. Ses chapitres émaillés de soixante-dix exemples musicaux et constitutifs recessent, sans faillir, les éléments (structure temporelle, élaboration rythmique, enveloppe timbrique, etc.) qui concourent à la variété et l’imprévisibilité requises par l’esthétique sérielle. Au terme d’une lecture fort éclairante, c’est peu dire qu’on souhaite réentendre ce chef-d’œuvre du second XXe siècle !
LB