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Chroniques
Mark-Anthony Turnage
Anna Nicole
Alors que les créateurs d’opéra français abordent le XXIe siècle en piochant tant et plus dans la littérature mondiale (Marlowe, Tchekhov, Hugo, etc.), on trouve outre-Manche des compositeurs qui puisent leur sujet dans les pages célébrités ou faits divers des magazines, sans complexe. Thomas Adès l’a fait en portant à la scène la scandaleuse Duchesse d'Argyll dans Powder her face [lire notre critique du DVD]. C’est au tour de Mark-Anthony Turnage – ayant déjà évoqué dans Blood on the floor la mort de son jeune frère [lire notre critique du DVD] – de choisir le destin peu enviable d’une ancienne égérie de Playboy – dont on s’étonne (et s’inquiète !) de connaître déjà quelques étapes de la décadence, informé de façon passive par un pouvoir médiatique qui s’y entend pour mettre en avant de pauvres pantins à paillettes plutôt que la réalité politico-économique. En deux actes et seize scènes, la vie d’Anna Nicole Smith (née Vickie Lynn Hogan, 1967-2007) se rappelle à nos mémoires.
Dans sa ville natale de Mexia, peu soutenue par sa mère, Anna donne naissance à Daniel, avant de divorcer de son mari Billy, puis de chercher fortune à Houston. Le monde des clubs masculins lui ouvre ses portes, mais le succès ne viendra qu’avec la pose d’implants mammaires qui feront sa renommée comme son calvaire (un mal de dos chronique). Octogénaire attendri par sa voix de bébé et son accent du Sud, le milliardaire J. Howard Marshall II l’épouse. Quand ce dernier meurt sans laisser de testament, une décennie de procès attend la jeune femme qui devient dépendante aux antalgiques et perd sa silhouette de strip-teaseuse. L’avocat Stern vit maintenant avec elle, se bat pour récupérer l’argent des Marshall et encourage sa médiatisation – l’accouchement de « leur » petite fille est filmée, puis le cadavre de Daniel photographié. Brisée par ce deuil, Anna Nicole s’éteint six mois plus tard dans une chambre d’hôtel de Floride, gorgée de médicaments.
Connu pour son habileté à disséquer le phénomène talk-show, Richard Thomas propose un livret chronologique et – précise la jaquette du DVD – truffé de « langage explicite » et « scènes de nature sexuelle », tandis que Turnage (né en 1960) s’assure les services de figures légendaires de la pop music : le batteur Peter Erskine, le guitariste John Paricelli et le bassiste Paul Jones. L’ouvrage est créé au Royal Opera House (Londres) le 17 février dernier [lire notre chronique du 4 mars 2011], dont la distance des premières scènes passionne peu, tant est appuyée la critique de la société du spectacle. On finit pourtant par s’attacher au rôle-titre, d’autant qu’on peine à le cerner (« godiche naïve » ? « catin profiteuse » ?). En revanche, on ne prend aucun plaisir aux notes brassant Weill, Bernstein et le jazz – dirigées par Antonio Pappano –, dans une pauvreté que n’osent même pas certaines comédies musicales.
Mis en scène par Richard Jones, des chanteurs solides pour la plupart défendent ce projet décevant, prudemment sorti en édition limitée avec dix minutes de bonus et six cartes postales : Susan Bickley (Vigie), Jeremy White (Daddy Hogan), Rebecca de Pont Davies (Kay), Loré Lixenberg (Shelley), Grant Doyle (Billy), Gerald Finley (Stern), Andrew Rees (Doctor Yes), Alan Oke (Marshall II), etc. Sans musique digne de ce nom, la voix opulente d’Eva-Maria Westbroek (Anna Nicole) et son jeu raffiné paraissent tout simplement gaspillés.
LB