Chroniques

par pierre-jean tribot

Peter Rundel et le Modern Ensemble
Erskine, Scofield et Turnage

1 DVD Arthaus Musik (2006)
100 430
le Modern Ensemble sous la direction experte de Peter Rundel

Lors d'une précédente parution discographique consacrée à l'œuvre du compositeur anglais Mark-Anthony Turnage [lire notre critique du CD], nous écrivions tout le bien que nous pensions du talent de ce compositeur surprenant et fascinant. Consacré à l'une de ses pièces majeures, le présent DVD confirme, bien qu'en suscitant quelques réserves, les qualités de cet artiste.

Composée entre 1994 et 1995 à la demande du Modern Ensemble de Francfort, Blood on the Floor est un large corpus de près d'une heure un quart. Cette pièce tire son titre d'une impressionnante toile du peintre Francis Bacon où l'on voit une tache et des gouttes de sang maculer le sol d'une pièce aux murs orangés. Cette salle, entièrement vide à l'exception d'une lampe et d'un imposant interrupteur, dérange et questionne sur le sens de la toile. Mais, très vite, le compositeur s'est focalisé sur deux autres aspects : la drogue et la vie urbaine. La drogue est un sujet qui touche l'artiste au plus profond de son âme, car son jeune frère est mort des suites d'une overdose. En dix mouvements, la partition alterne des épisodes violents, éruptifs et des passages plus méditatifs. Le compositeur retrouve ici l'un de ses traits caractéristiques : l'influence du jazz et surtout de Miles Davis, si bien que l'orchestre traditionnel est renforcé par trois solistes de jazz – John Scofield, Peter Erskine et Martin Robertson.

Magnifiquement servie par des interprètes engagés, notamment un formidable Modern Ensemble sous la direction experte de Peter Rundel, cette œuvre possède incontestablement beaucoup de personnalité et d'originalité dans le traitement du rythme et des alliages orchestraux. Pourtant, on est plus admiratif qu'ému au fil des auditions. Ce travail est ciselé avec un talent d'orfèvre mais l'esprit n'est jamais touché, à l'inverse de son cycle When I Woke ou de ses Evenings Songs, par exemple, qui touchaient les sens avec une grande économie de moyens.

Ce concert de 1996, fort bien filmé par les équipes de Barrie Gavin, est complété par l'exécution de deux pièces des solistes d'un soir : Anthem de Peter Erskine et Protocol de John Scofield, dans un arrangement de Turnage. Si Protocol tend vers l'exercice de style, Anthem est une très belle partition aux mélodies simples mais à l'émotion intense.

On pourra également visionner une intéressante introduction d'une petite dizaine de minutes. Le compositeur, filmé en répétition, y présente l'origine et les aboutissements de sa partition. C'est bref mais complet, bien plus intéressant que le rébarbatif et dithyrambique livret de présentation.

PJT