Chroniques

par hervé könig

Giuseppe Antonio Brescianello
Tisbe | Thisbé

1 coffret 2 CD CPO (2014)
777 806-2
Jörg Halubek joue Tisbe, un opéra de Giuseppe Antonio Brescianello

Il naquit à Bologne en 1690, dit-on, mais la date n’est pas tout à fait sûre. Giuseppe Antonio Brescianello semble avoir été un garçon doué et précoce, un instrumentiste qui se serait produit enpublic dès l’âge de huit ans. En tout cas, on le croise jeune violoniste à Venise à partir de 1714 et bientôt à la cour de Bavière, exilée pour un temps dans la Sérénissime durant la guerre de succession d’Espagne. Il y fréquente bientôt les frères Marcello, ainsi que Vivaldi, ses aînés d’une quinzaine d’années. Puis il suit la famille bavaroise à Munich, et gagne en 1717 de nouvelles fonctions officielles et prestigieuses à Ludwigsburg où il dirige la chapelle musicale du duc de Wurtemberg, succédant au grand Keiser. Là, sa carrière s’enracine solidement. C’est à Stuttgart qu’il s’éteint le 4 octobre 1758.

Puisant son sujet dans les Métamorphoses d’Ovide qu’il mêle à Boccace et à Shakespeare, Jacopo Martello (1665-1727), poète académicien de l’Arcadie bolognaise, écrit le livret de Pyrame et Thisbé vers 1694. Il serait rapidement mis en musique à travers plusieurs cantates et divertissements. Brescianello s’en saisit à l’occasion de ses débuts de compositeur à l’opéra de Stuttgart, dans une révision de Domenico Pallavicini qui l’allège de plusieurs protagonistes, ce qui rend plus nets les caractères des quatre qui restent. À la tête d’Il Gusto Barocco, Jörg Halubek livre une interprétation haute en couleurs, vive et très inspirée de cette Tisbe, opéra pastoral en trois actes conçu 1718, dont on admire immédiatement la majestueuse ouverture à la française.

Il est secondé par une équipe de solistes vocaux fort bien choisie.
À commencer par le rôle-titre, idéalement confié au timbre chaleureux du soprano Nina Bernsteiner, aussi convaincante dans les ariosos et les récitatifs que dans les arie plus développées, héritières d’une inflexion Renaissance baroquisée en marche vers le classicisme encore à venir. Inflexion dramatique et tendresse sont au rendez-vous de cette voix agile et suggestive. On aime beaucoup la fulgurance de son Due timori al cor mi sento, entre autres, et l’incroyable Fiero leon de l’acte central, éclatant, avec son solo de violon presque galant (rococo). Plus cordiale – vis comica oblige ! – la partie de Licori est bien tenue par le contre-ténor Flavio Ferri-Benedetti, particulièrement expressif. Les contrastes entre les appuis de poitrine et un falsetto généreux donnent un facétieux relief au personnage. Le plaisant L’amore è follia fait ici figure de petit bijou, sans oublier les truculents hoquets du final de l’Acte I.

En Alceste sereinement chanté, nous retrouvons le grain mâle de Matteo Bellotto [lire nos chroniques des 15 décembre et 25 janvier 2015, du 23 août 2013 et du 22 juin 2005]. Au deuxième acte,Come al nido la rondinella fait merveille et l’évident Non è fede esser crudel du troisième donne toute la mesure d’une voix parfaitement menée et de son extrême précision, même dans les virages difficiles. Quant à lui, le ténor Julius Pfeifer offre un timbre brillant à Pirame, sans pourtant lui assurer toujours la stabilité qu’il mériterait. L’invocation récitative de la troisième scène du II demeure efficace, quand l’air qui suit, Pace, pace a due miseri amanti, convainc par la virtuosité vaillamment assumée de son ornementation. Belle reliquie e care, récitatif accompagné chargé d’angoisse (Acte III) introduit par un violoncelle superlatif, révèle la sensibilité du chanteur, victorieusement à l’œuvre dans l’air inquiet Non turbati, alma innocente. Saluons le duetto chatoyant du couple légendaire, Di più bell’alma e pura, en fin d’œuvre.

De ce compositeur encore méconnu l’on avait put entendre des concertos et des suites de danses. Remercions Jörg Halubel de cette résurrection plus que réussie de sa Tisbe !

HK