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Chroniques
Félicien David
Le désert
Après sa belle résurrection à Versailles de l’opéra Herculanum (1859) [lire notre chronique du 8 mars 2014] et juste avant celles du Saphir (1865) au Théâtre des Bouffes du nord (Paris), dans une version chambriste, puis de l’ode-symphonie Christophe Colomb (1847) à La-Côte-Saint-André [lire notre chronique du 22 août 2014], le Palazzetto Bru Zane (PBZ) poursuivait son exploration passionnante de l’œuvre de Félicien David (1810-1876) à la Cité de la musique en mai dernier avec Le désert, premier exemple de ce genre nouveau qu’il inventa, créé à Paris le 8 décembre 1844 et repris trois mois plus tard par la baguette enthousiaste d’Hector Berlioz qui ne ménagea pas ses compliments à l’égard du compositeur. Encore l’investigation fort active de l’œuvre de David par le Centre de musique romantique française s’exprime-t-elle, outre le festival qu’il lui dédiait in loco, à travers des publications discographiques régulières : en 2011 parurent chez Laborie l’album Le souvenir – il emprunte son titre à une mélodie pour violoncelle et piano qui partage cette galette avec le Quatuor en ré mineur n°3 (1869), deux pages pour piano solo et le Trio en mi bémol majeur n°1 (1857), mais aussi trois opus d’autres musiciens variant des thèmes d’œuvres de David – et Les quatre saisons (1842), série de plusieurs quintettes avec contrebasse ; les Quatuors en fa mineur n°1 (1868), en la majeur n°2 (1869)et en mi mineur n°4 (inachevé, 1876) furent édités par les soins du PBZ l’année suivante chez Ambroisie/Naïve, tandis que le label Aparté saluait le printemps 2014 avec les romances et mélodies pour baryton et piano.
Avouons-le d’emblée sans chercher à se faire passer pour plus érudit que nous le sommes, longtemps Le désert fut notre unique référence auditive de la musique de Félicien David, via l’enregistrement de Guido Maria Guida, à Berlin en 1989 (Capriccio). Cette version déjà ancienne n’avait pas pour seuls mérites de faire découvrir au mélomane une œuvre qu’il ne connaissait vraisemblablement pas et un compositeur dont peut-être à peine une piécette de concours avait perduré. Encore développait-elle, malgré une accentuation assez lourde de son côté pompier, une vision généreuse qu’on pourra dire « cinématographique », avec un Rundfunk-Sinfonieorchester Berlin aux sonorités parfois brahmsiennes, peut-être hors de propos dans ce répertoire et cependant fort évocatrices – le prélude de l’Hymne à la nuit se dessine dans une paix chaleureuse à laquelle fait écho une aube délicate où point peu à peu la lumière, Lever du soleil remarquablement approfondit jusqu’à la naissance de son ombre via des violoncelles colorés. Si les voix des Chöre der St.Hedwigs-Kathedrale Berlin ne livraient jamais un texte intelligible et s’avéraient exsangues par endroits, soulignant cruellement une écriture chorale relativement pauvre, il faut le dire, la partie du récitant bénéficiait de la présence prégnante d’Olivier Pascalin. Indépendamment du peu de cohérence stylistique de cette mouture, elle faisait appel au ténor Émilien Bruno Lazzaretti qui, avec un impact héroïque parfois trop appuyé, offrait une vaillance toute berliozienne à la plupart de ses interventions ; en revanche, son Chant du muezzin est un délice de souplesse et d’exactitude.
À ce chapitre, l’Étatsunien Zachary Wilder fait merveille dans la nouvelle gravure. L’élan est extrêmement convaincant et la prononciation orientale en rehausse avantageusement l’exotisme général. Les autres airs sont confiés au jeune Cyrille Dubois, à l’opposé du belcantisme de Lazzaretti : de cette voix claire l’inflexion est toujours tendre, sans agressivité aucune. L’Hymne à la nuit est subtilement raffiné, avec des attaques caressantes. Poussées jusqu’à l’exagération, ces belles qualités confèrent toutefois à la Rêverie du soir un maniérisme excessif rejoignant la paradoxale ampoule oisive de Jean-Marie Winling qui rend vieillotte et décorative la partie du récitant. Passé ce léger désagrément, la diction parfaite des choristes d’Accentus et le dessin gracieux qu’ils ménagent à leurs passages s’inscrivent dans une approche de l’œuvre plus autorisée. De même les musiciens de l’Orchestre de chambre de Paris insufflent-ils une fluidité et une clarté nettement françaises à cette nouvelle version qui façonne luxueusement les timbres et n’alourdit jamais le pas – grande élégance de la Marche de la caravane, paysage nocturne scintillant pour introduire l’Hymne, etc. Plutôt qu’une aube, c’est une illumination soudaine que choisit de faire entendre Laurence Equilbey : son Lever du soleil prend un atour formel assez sec dont l’emphase survient d’un coup. Particularité de cette parution : elle propose deux CD, l’un avec la version complète, l’autre sans le récitant (celle qui nous convient, avouons). Au-delà des quelques réserves émises, c’est bien sûr par elle que l’auditeur abordera au plus près Le désert de Félicien David [sur le compositeur, lire notre entretien de mars 2014].
BB